2 décembre 2013

Kerbela

Une mendiante aveugle venait chaque matin, nous étions alors enfant, chanter devant la porte de notre maison. Elle arrivait à l’heure du petit déjeuneur, quand nous préparions pour aller à l’école. Elle avait une voix puissante et douce. Sa chanson avait la tranquillité d’une berceuse et la ferveur d’une prière matinale.

On l’appelait Yaye Coumba, «la mère non-voyante», en wolof. Je crois que personne ne connait son véritable nom.  Ni où elle habitait d’ailleurs. C’était une dame entre deux âges, le teint foncé, à la carrure forte. Elle s’arrêtait devant chaque porte de maison pour entonner sa chanson mélancolique.

En famille, on fredonne encore sa vieille mélodie. C’est un air connu par tous. Yaye Coumba chantait pourtant une tragédie,  le massacre à Kerbala et le martyre du Husein, petit fils du Prophète. C’est un gros morceau d’histoire musulmane tombé dans la légende populaire sénégalaise.

La chanson de Yaye Coumba a bercé mon enfance. Son timbre puissant résonne encore en moi comme un murmure et me reconnecte à une époque, pas toujours reluisante, mais harmonieuse. C’était les années 80-90. Avant que la dévaluation du Cfa ne viennent tout saboter.

Aujourd’hui, si Yaye Coumba revenait dans mon quartier, elle ne retrouverait pas son chemin. Elle venait à l’heure du petit déjeuner, or à Pikne, ce repas est un vieux souvenir de famille. Les gargotes à ciel ouvert ont prix le relais.  Elles pullulent dans le quartier et servent une nourriture abondante.

La plupart des familles que Yaye Coumba connaissait bien où elle venait chaque matin ont quitté le quartier ; elles ont déménagé dans les coins encore plus reculés de la banlieue. A la place, il y a des immeubles à plusieurs apparts avec une sonnerie.

Et puis les gens sont devenus tellement pressés, pris à la gorge par l’urgence de la survie. Je me demande bien qui dans ce quartier à encore le temps d’écouter la mélodie d’une vieille aveugle.

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