27 décembre 2014

Extraits de correspondances d’avant rupture

Dans mes précédentes chroniques, j’ai publié la lettre qui a scellé de façon définitive ma relation avec Sophie, mon ex, une Toubab, partie à Paris. Je vous ai également montré la réponse qu’elle m’a envoyée ; une lettre teintée de chagrin et d’amertume. Je la comprends : ce n’est jamais facile de quitter quelqu’un qu’on aime. Pour moi, non plus, la décision n’a été facile à prendre. J’ai choisi de vois faire lire des extraits de nos longues lettres, qui montrent assez bien notre complicité amoureuse et intellectuelle.

Sophie : Mon chéri, je suis bien arrivée à Paris, un peu avant 18 heures. Il fait un froid de canard. Le thermomètre affiche 5 degrés. C’est un très dur de te quitter, et d’avoir quitté Dakar; à côté Paris est bien trop vaste et très rapide, c’est redevenue presque une ville inconnue pour moi. Et j’ai trouvé un appart avec Pauline. Il est tout petit, mais dans un quartier super, près des Invalides. On attend la réponse de la propriétaire. Ce soir je fais un dîner avec mes copines, on mange du fromage et de la ratatouille et on boit du vin rouge, je pense à toi ;. Je pense sans cesse à toi, à nos retrouvailles. J’ai envie que tu me serres dans tes bras. Je t’embrasse fort.

Moi : Ma chérie, j’ai bien hâte de revoir à Paris. J’y suis venu une fois, en avril 2012. J’ai gardé de beaux souvenirs du printemps à Paname. Notamment une après-midi, dans un appartement douillet près de la Tour Eiffel, avec quelques amis… La radio distillait So What de Miles Davis, le grand maitre du jazz. C’était un instant calme, tranquille qui m’a coupé de l’agitation extérieure de Paris. C’est un de mes rares souvenirs de Paris puisque je n’avais rien visité de la ville, ni pris de photos. J’étais trop dépaysé pour ça. Pendant tout le séjour, je suis resté cloitré dans ma chambre.

Sophie : Je ne peux pas rester longtemps sans avoir de tes nouvelles… Je me demande si tout va. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis une éternité… Ecris- moi si tu as le temps. Des milliards de bisous

Moi : Ma chérie, on est lundi après- midi. La maison est clame. Tout le monde est parti au travail. Quelques vieux coqs caquettent dans la cour. J’ai, comme d’habitude, du temps devant moi.. Pourtant cette fois-ci, j’ai bien du mal à le remplir. Ce matin, je suis sorti acheter quelques vieux bouquins jaunis par le soleil à la libraire par terre. Depuis quelque temps je ne lis que des auteurs russes. C’est un trésor inestimable, un peu négligé en Afrique francophone où la littérature étrangère se limite souvent aux auteurs français. Quand je lis un roman je donne des visages familiers aux personnages. C’est le tien qui s’est s’imposé à moi quand j’ai voulu visualiser Nathalie Rostov, une des héroïnes de « Guerre et Paix » de Tolstoï. C’est une façon pour moi de retrouver dans la fiction des gens que j’ai connus réellement. D’ailleurs, pour moi les vrais personnages, on les trouve dans les romans… C’est long à expliquer, mais tu sais qu’au Sénégal combien les relations sociales sont factices et superficielles…

Sophie : Je sais que tu as toujours tenu en horreur les artifices… Je viens de finir « Gatsby Le magnifique ». Ça faisait très longtemps que je n’avais pas lu un chef d’œuvre. Je lis beaucoup de littérature contemporaine, donc je tombe sur beaucoup de livres assez moyens. Gatsby, c’est sublime, c’est subtil, et fin, comme brossé à la feuille d’or, c’est très évocateur aussi tu as l’impression de sauter dans des toiles des années 20 (…)
Te souviens quand, à Dakar, on a vu les films de Christophe Honoré, notamment « Dans Paris » et tu avais dit que c’était très parisien. Je suis allée au cinéma hier et j’ai regardé un autre de ses films, qui s’appelle « Les bien-aimés ». J’ai beaucoup pensé à toi, parce qu’il a enfin quitté son microcosme. Je veux dire, ça se passe encore en partie à Paris, mais ce n’est plus parisien, tu vois? C’est devenu complètement universel. L’histoire commence dans les années 60, elle se termine en 2000, c’est bouleversant ; ça raconte combien c’est difficile d’être amoureux aujourd’hui, comme les histoires d’amour sont devenues douloureuses. Catherine Deneuve, qui joue la mère de l’héroïne, et qui a eu 20 ans dans les années 60, dit à un moment, en parlant d’elle et de l’époque : « Je n’étais pas une fille facile, c’est l’époque qui était facile », et c’est tellement juste…
Moi : Ma chérie, c’est toi qui m’as demandé un jour lequel je choisirais entre le néant et le chagrin ? Je ne sais plus ce que je t’avais alors répondu. Je crois que c’est le néant que j’avais choisi ; mais ça n’a plus d’importance. Si j’en reparle aujourd’hui, c’est que j’ai trouvé cette expression dans un essai de Kundera, citant Faulkner. Ce qui est curieux, c’est que j’ai trouvé dans ce même bouquin (« Les testament trahis ») un passage qui aurait pu se glisser dans nos nombreuses conversations sur Louis Ferdinand Céline, l’auteur du magnifique « Voyage au bout de la nuit ». Je le recopie pour toi : « Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que l’œuvre de Céline, grâce à ses errements, contient un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. Car le pouvoir de la culture réside là : il rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse existentielle. »…

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