Retour sur un territoire de jeunesse

5 février 2015

Retour sur un territoire de jeunesse

Le temps semble faire des ravages inexorables. Les bâtiments décrépis montrent leur squelette de fer rouillé. Il règne une ambiance de marché dans les rues de ce vieux quartier de territoire de jeunesse aux ruelles étroites, aux volets clos, – vaine tentative pour échapper à la clameur diffuse des mégaphones. Sur ce territoire de jeunesse, aujourd’hui tout acquis au commerce, nous avions jadis délimité une espace de jeu. Nous avons joué aux « petits camps» ; aux « deux équipes », les pieds nus, tapant dans un vieux ballon de foot dégonflé.

Parcourant, il y a quelques jours, sur ces lieux, c’est moins l’écho de nos jeux passionnés qui me revient en mémoire que la voix d’une vieille mendiante qui s’asseyait à l’angle de la rue.  Ses prunelles laiteuses abritées derrière de grosses lunettes de soleil, elle campait sur le trottoir, un mouchoir blanc tendu devant elle. D’une voix puissante et douce, elle chantait une mélodie d’une rassurante ardeur. Le souvenir de cette dame (elle était déjà assez âgée à l’époque) resurgit dans le flot de mes souvenirs comme une bouée. Elle avait le teint foncé et la carrure forte. Elle sillonnait chaque matin le quartier en quête de sa pitance.  C’est l’après-midi, qu’elle s’installait à l’angle de la rue où passaient les travailleurs revenant du boulot. Nous jouions au foot de l’autre côté. Un des éléments de l’équipe entrante devait monter la garde auprès d’elle pour éviter que le ballon ne vienne à elle.

Pendant que nous jouions au foot, poussés par la passion du jeu et la nécessité de dépenser le trop plein d’énergie de nos jeunes corps, elle chantait de sa voix pleine et exaltée.

De retour sur ce territoire de jeunesse, sa voix sort du passé comme le générique d’une époque où le foot avait pignon sur rue. La poésie de sa chanson a bercé une époque d’innocence et d’harmonie sociale. C’était au milieu des années 80, avant que les néfastes programmes d’ajustement structurel ne rompent les équilibres. Dans les années 90, la dévaluation du franc Cfa, imposée par la France, a ensuite aggravé les conditions de vie des ménages sénégalais. A mon avis, les institutions de Brettons Wood ont contribué tuer le football dans nos quartiers populaires. De par sa spontanéité, sa vivacité le foot de rue est ce terreau fertile où poussent les dribbleurs. Depuis quand la Médina n’a pas produit un joueur de la trempe de « Boy bandit » ? Nos rues sont devenus des espaces de débrouille encombrés  d’étals, de « cantines » de gargotes (et pour cause les familles ruinées n’assurent plus les repas).  Vous avez pu constater que dans plusieurs quartiers de Dakar, les jeunes jouent au foot le dimanche matin où la nuit quand les commerces ont fermé.

De retour sur ce territoire de jeunesse, je ne vois plus ces pierres, ces morceaux de briques  qui délimitaient les « petits camps ». La rue été pavée, prise d’assaut par les marchands. Je ne saurais reconnaitre l’endroit où se posait la vieille aveugle. L’écho de sa puissante voix est encore présent dans ma tête. J’aurais  aimé entendre son chant dans  cette citée agitée et mutilée.. Qu’elle exalte, comme dans ma jeunesse, les vertus de patience et du courage, qu’elle chante la foi inébranlable en de jours meilleurs. J’aurai aimé voir des enfants qui jouent au foot dans nos rues au lieu de vendre de la pacotille chinoise.

 

 

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