26 décembre 2013

Le succès croissant du zikr

Le soir à Pikine, les jeunes de mon quartier s’adonnent au zikr. Ils se regroupent à l’angle de la rue mal éclairé par le poteau électrique et chantent les louanges de leur marabout.

Le soir, le zikr est la principale activité des jeunes des quartiers populaires de Dakar.

Le zikr finit tard dans la nuit. Si vous considérez que c’est du tapage nocturne, c’est que vous n’êtes pas prêt pour vivre dans mon quartier. La manifestation ne dérange pas grand monde. Ils sont rares, ceux qui, ici, se lèvent tôt pour aller au boulot.

Le rituel est le même. Les adeptes du zikr forment un cercle tournant autour du chanteur principal. Ils dansent sur les rythmes du khiin, ce court tam-tam au son sourd, porté en bandoulière. Ils se déchaînent, tombent en transe, pleurent, se défoulent tout en reprenant en chœur les mélodies. Les paroles font l’éloge des  marabouts, ces guides religieux très influents dans la société sénégalaise.

Le zikr en pleine rue est une création des baay fall, ces jeunes hommes vigoureux issus de la puissante confrérie mouride. Les baay fall ont un style très remarquable. Habillés en patchwork, ils ont de longues et épaisses dread locks, l’effigie de leur marabout en pendentif. Ils portent  au tour du cou des chapelets avec des perles grosses comme des cailloux de plage.  Le jour, on croise les baay fall presque partout dans les grandes artères de Dakar. Ils tendent énergiquement aux passants une petite calebasse ornée d’arabesques coraniques. Ils collectent ainsi le «adiya», le pécule qu’ils sont sensés reverser à leur guide spirituel… La nuit, les baay fall se regroupent et chantent leur marabout.

Aujourd’hui, le zikr dépasse largement le cadre confrérique. C’est un phénomène social qui amine la vie nocturne des quartiers populaires à Dakar : A Pikine, à Grand Yoff à la Médina, etc. Les jeunes s’y adonnent tous les soirs. La fièvre a même gagné les campus universitaires.

Les jeunes gens de quartiers pauvres trouvent dans le zikr un antidote contre l’oisiveté. Ils ne sont pas toujours bien vus. On les assimile souvent à des délinquants et des fumeurs de chanvre. Ce qui n’est pas totalement faux. Ce qui est sûr, c’est que le zikr leur procure une autre forme d’ivresse…

Le phénomène a ses stars. Ndiogou Afia, 28 ans, est l’une d’elles.  Elégant, l’allure fière, il a grandi à la Médina, quartier chaud de Dakar qui a vu naître Youssou Ndour, la grande vedette de la musique sénégalaise.

Ndiogou Afia a une belle voix de ténor, éraillée, presque mélancolique. Ses chansons sont inspirées des poèmes de Serigne Touba, le fondateur de la Mouridiya. Il chante aussi des thèmes plus profanes.

Les fans de Ndiogou Afia s’échangent ses sons sur leurs téléphones. C’est sa voix qui les accompagne quand ils prennent le thé pour meubler leurs longues journées. Ils la mettent dans leurs écouteurs pour se muscler sur les plages sableuses et ensoleillées de Thiaroye, le village des pêcheurs.

Le succès croissant du zikr est un symbole de la montée des valeurs religieuses dans la société sénégalaise.

Signe des temps : Ndiogou Afia est de plus en plus demandé pour animer les baptêmes et les mariages. Dans ces cérémonies, le zikr a tendance à remplacer les sabars, les traditionnelles séances de tam-tam, jugées parfois « obscènes ».

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Commentaires

DEBELLAHI
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Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que le Zikr, est une manifestation Soufi. Ils ne se rendent pas compte aussi que le soufisme est un bon rempart contre l’extrémisme. Il ne s'en rendront compte que lorsqu'un grand nombre de nos jeunes aura pris, soit le large vers Lampedusa, soit la ceinture explosive du MUJAO.

pascaline
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Ton commentaire m'a permis de retomber sur le tout premier article que j'ai écris sur mon blog, et ton article me permet d'imaginer un eu plus le déroulement de ce Zikr que j'ai entendu parfois au loin vers grand Yoff. Je me suis souvent demandée si le zikr des bay fall et celui des derviches tourneurs en Egypte étaient proches ? Au Caire et à Alexandrie, les spectacles sont présentés aux touristes comme des traditions, mais est-ce qu'ils font parti de la vie culturelle actuelle? Je me le demande, je n'en ai jamais vu en pleine rue... Ou bien peut-être doit-on aller en Haute-Egypte pour cela... Je n'en ai aucune idée. Une autre question que je me pose : ils chantent en arabe ou en wolof? Bel article en tout cas. C'est chouette d'avoir un écho de ton quartier.

Adjimaël HALIDI
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Excellent billet !

Mylène
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Je découvre, comme si j'y étais... J'apprécie vraiment beaucoup ta plume, et ton regard sur ce quotidien.