Mon mouton de Tabaski.

9 octobre 2014

Mon mouton de Tabaski.

 

J’ai acheté un mouton pour la Tabaski, Aïd el kébir. C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai attendu d’avoir près de quarante balais pour ça. Une première qui a rendu rendu fiers les membres de ma famille, en particulier ma mère. Je crois qu’elle y a vu le signe d’un début de sortie de mon long célibat. Ou en tout cas un effort louable de la part de son fils pour devenir un homme normal, un vrai homme !

Pendant longtemps, la Tabaski a été pour moi un jour comme un autre. Célibataire, sans enfant,  et sans projet de mariage sérieux,  j’ai jamais ressenti une pression particulière pour ce jour.  Contrairement à mes amis mariés,  et déjà père d’une consistante famille, qui doivent se décarcasser pour trouver un mouton respectable, acheter des basins riches dont le prix du mètre peut me nourrir pendant deux semaines. Sans compter tous autres les accessoires,mais indispensable : greffages, cheveux naturelles etc.

Je crois que la Tabaski c’est le seul jour où mes amis mariés m’envient mon statut matrimonial.  Moi, je suis loin de cette frénésie dispendieuse. Je dois ajouter, pour être honnête, que j’ai trop le choix, fauché comme je suis habituellement.

Mais cette année, chose tout à fait insolite, moi, Rahou, célibataire endurci et invétéré, qui commence à avoir des poils blancs à la tête, à la barbe (et ailleurs), j’ai  fièrement attaché un bélier devant la maison à côté de ceux de mes frères et beaux-frères. Les gens n’en revenaient pas.
Pour dire vrai, bélier, c’est un terme trop généreux pour mon mouton. C’est un animal à robe noire tachée de blanc, rachitique , les côtes saillantes, bien visibles à travers sa peau tendue presque transparente. Mais c’est quand même un bélier si vous considérez l’envergure des cornes, plusieurs fois enroulées ; et si l’on en juge aussi par la paire de testicules balèzes, et qui balaient le sol.

J’ai dégoté l’animal la vieille de la Tabaski parmi un troupeau de « peuls peuls » à un prix symbolique (15 mille balles).  Le  vendeur, un berger maure enturbanné, avait visiblement hâte de s’en débarrasser avant qu’il ne meure entre ses mains. Le mouton, éreinté, souffrait d’une diarrhée sévère sans discontinu, comme un robinet foiré. Aucun charretier ne voulait l’embarquer. Les taxis, n’en parlons pas. J’ai dû le traîner à la laisse, nuitamment pour éviter les regards moqueurs.  C’ aurait été un mouton de Tabaski volé qu’on aurait aucun mal à repérer nos traces. L’animal a jalonné tout le chemin de ses intarissables déjections liquides.
 Arrivé chez moi, je lui attache un morceau de tissu à la queue et lui  administre un bouillon de terramycine. En vain.

Le jour de la Tabaski. Ma mère toque à ma porte. Il est dix heures passées. J’ai raté la prière, comme d’hab. J’ai du mal à me lever tôt. A mon réveil, toute la maison est emplie de bêlements de moutons effrayés, ligotés prêts à être sacrifiés.  L’ égorgeur est un sympathique voisin, boucher de métier. A ma grande surprise mon mouton est encore vivant. La diarrhée s’est ralentie, mais il n’a plus la force de bêler.  On l’amène au bord du trou pour lui sectionner les artères. Au dernier moment, je retiens la main de mon voisin qui avait dégainé un couteau ultra tranchant.  « Arrêtez .Ne l’égorgez pas ! Dama koy yaar. »   Dubitatif, le serial killer de  moutons  lève les yeux sur moi.  « Je garde mon mouton pour la Tabaski prochaine. »  confirmé-je.  Ma mère, mes frères et sœurs sont aussi surpris, mais au fond  d’eux  ils sont soulagés d’être dispensés de manger ce mouton anémique et diarrhéique. Moi aussi.
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Commentaires

khadim
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j'espere qu'il survivra ! Heureux de te relire , alors la rencontre c'est pour quand ?