Quand vous regardez un match à la télé, coupez le son !

21 janvier 2015

Quand vous regardez un match à la télé, coupez le son !

En cette période d’effervescence footballistique sur le continent, j’ai une pensée pieuse pour un vieil ami, Maha Diop, tirailleur sénégalais disparu récemment, juste avant son 87ème anniversaire.  Il avait l’âge d’être mon grand-père, mais entre lui et moi, on se donnait du « camarade », sans protocole. Maha Diop était un vieil ancien combattant,  bourré de vitalité. Il vivait seul, à  l’écart de la société, dans une vieille maison en ruines aux murs délavés. Je passais souvent le voir en lui tendant une pile de journaux disant : « Camarade, voici les  dernières nouvelles du pays ». Il lisait surtout infos sportives ; on les commentait ensemble autour du thé.

Assis devant ma télé, je repense souvent à lui.  Regarder un match de foot, était la seule et unique concession qu’il faisait au petit écran. Camarade Maha n’aimait pas la télé. Il disait qu’elle rend paresseux et tue l’imagination.  Le soir, il me conseillait de faire comme lui : regarder les étoiles. « Camarade, c’est tellement plus beau», s’enflammait le vieux tirailleur. Une fois, je me suis surpris à l’imiter. On ne m’y reprendra plus. J’en ai tiré un torticolis à vous démonter le cou.

Sa passion du foot était plus forte que sa haine de la télé. J’ai regardé les matches de la dernière Coupe du Monde chez Maha.  Mais c’était  sans compter avec les ressources mentales du vieux, qui n’a jamais totalement cédé à la lucarne diabolique.

Maha regardait les images de foot sans le commentaire. Au début, je pensais que sa télé était défectueuse. Mais non :  le vieux coupe tout bonnement le son. Cela m’a paru étrange.  Maha expliqua alors que  pour éviter d’être un téléspectateur passif, il assure lui-même les commentaires des matches qu’il suit à la télé.

Je sais qu’il nourrissait une méfiance terrible à  l’égard du « français de la jeune génération », comme il disait ; mais je crois qu’il se livrait à ce singulier exercice par esprit « d’ancien combattant » : il n’acceptait pas que quelqu’un s’interpose entre lui et la réalité et lui dicte ce qu’il faut voir. Quand il reportait un match chez lui, Maha sortait une louche en bois (mbattu en wolof ) en guise un micro. Il était habile à ce jeu. Les modulations de sa voix suivaient le cours du match.  Quand le ballon est loin des buts, il baissait le ton et en profitait pour glisser une anecdote personnelle, le plus souvent sur son passé de tirailleur (Ah la rude bataille des Vosges avec les Allemands pendant l’hiver 44 !). Quand le jeu se rapproche de la zone dangereuse, Maha élevait la voix sur un rythme plus saccadé. Seul hic avec lui, une phase de jeu, qu’elle se conclue par un but ou en occasion ratée se termine invariablement de la même manière : une vigoureuse quinte de toux, symptômes de la maladie qui allait l’emporter. «Camarade, un verre d’eau s’il te plait ! », me lançait-il entre deux toux sèches.

J’étais admiratif devant ce vieux combattant qui, tout en vivant à fond sa passion, ne s’était pas laissé envahir par les gadgets de la modernité. J’ai compris que le commentaire de match a un caractère purement ornemental et que sa rhétorique qui charrie les termes génériques de combattivité, d’engagement, etc. est valable pour tous les aspects de l’expérience humaine.  C’était la leçon du vieux Maha. Salut camarade !

 

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