Une vie de balle

14 avril 2015

Une vie de balle

C’est un acteur indispensable du football. Pourtant on ne lui demande jamais son avis. Qui est mieux placé que lui pour parler du jeu ?

Des coups de pied, de tête, des égratignures de crampons, des chocs contre le poteau, sur la barre. Je reçois partout des coups. C’est mon lot de ballon de foot. Ingrat peu enviable. Le jeu n’en vaut pas la chandelle, mais je n’ai pas le choix. J’encaisse. Pas du tout de repos une vie pareille : courir, bondir, sauter.

Mon parcours démarre au rond central. L’arbitre siffle, je reçois une tape amicale. Je roule ma bosse partout sur le terrain, sur les surfaces de réparation, sur les côtés. Je souffre le martyr pendant 90 mn.  Je redoute particulièrement le tacle, être pris dans une collision de jambes, je crains d’éclater comme une bulle de savon. Je ne suis que d’air, moi. Un centre tendu, c’est  plein de courbatures le soir.

J’aime bien me lover dans les bras du gardien de but : c’est mon meilleur copain sur le terrain. Quand les autres ne pensent qu’à me frapper, me chasser loin de d’eux, lui m’accueille les bras ouverts. Un tir de loin (Aie, je reçois  toute la force d’un robuste gaillard qui passe sa vie à l’entrainement) ,le gardien me capte en plein vol ;il me tient entre ses gants doux et moelleux, me serre beaucoup contre sa poitrine. Ouf ! quel soulagement.J’ai beaucoup traîne avant d’atterrir ici. Parfois, j’ai envie de repartir aussitôt arrivé, car certains de mes amis gardiens ont la manie de cracher dans leurs mains. Pouah,c’est  dégueulasse, je n’aime pas être en contact avec la salive. Bon, je sais, ils le font, pour éviter que je leur file entre les doigts,  mais je ne suis pas un traître, moi, ils n’ont qu’à bien me tenir. Permettez que je corrige d’ailleurs toutes les étiquettes déplaisantes qu’on colle à ma peau de cuir tatoué de sponsors.  Retenez bien ceci : « Je ne fais jamais de faux bond ». En tous cas, si ça arrive, visez le jardinier du stade, ce fainéant qui tond mal la pelouse… ce qui me donne du reste des contusions. On me reproche souvent de prendre « une trajectoire flottante ou fuyante, de vouloir tromper le gardien » ; c’est un mauvais procès :  vous oubliez que je ne suis qu’un simple ballon de foot, je vais là on me l’ordre d’aller.  Alors je  prie ces soi-disant commentateurs sportifs de revoir leur langage. Ils n’ont pas la moindre considération pour moi. Je ne figure même pas sur la feuille de match.  Alors que sans moi il n’y a pas de jeu.

Entre dans les bras d’un gardien de but,  c’est un court répit, un moment de détente qui ne dure jamais longtemps. Hélas, le jeu doit se poursuivre. Voici qu’il me soulève et me dégage. Je suis dans les airs, je plane.  J’aurais aimé avoir des ailes, les ouvrir grand, quand je suis en haut,  quitter le stade, laisser ce« footu » destin. Mais d’en haut, alors que  j’amorce une chute libre, je vois les joueurs se bousculer, se tirer le maillot, se donner des coups de coude, pour être  le premier à me donner un coup de tête. J’atterris sur un crane dur (bang !), et me voilà  qui reçoit un coup de pied. Ah, c’est une simple passe du plat du pied, sans gravité, je roule tranquille. Je regrette de ne pas atterrir plus souvent sur des parties plus molles du corps humain, comme la poitrine, la cuisse. Ce sont des gestes devenus plus rares dans le foot moderne.

J’aime bien quand le gazon est bien plat et bien arrosé. Je roule tranquillement, c’est comme une promenade le soir après la pluie. Sentir la terre humide sous ses pieds. Je déteste le synthétique.  Son contact est rugueux et me laisse des griffures.  En plus, ça sent mauvais, le synthétique, l’odeur du caoutchouc cramé qui vous colle au nez.

Ah   le contact avec les filets ! Quel plaisir. C’ est un vrai moment de grâce. Je suis un peu à l’oubli pendant que le stade exulte et jubile de joie. Mais, le bonheur des uns  fait le malheur des autres. C’est la loi du sport. On n’est jamais à l’abri d’un mécontent, qui vient déverser sa colère sur moi, m’assénant plusieurs coups de crampon. J’y suis pour rien, moi, fallait surveiller nos arrières…

 

Photo dessous wikimediacommons JP lavoie
Photo dessous wikimediacommons JP lavoie
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