Balade dans les rues de Pikine

25 novembre 2013

Balade dans les rues de Pikine

Résumé :  En balade dans Pikine, mes souvenirs de jeunesse rejaillissent ; j’essaie de les recaser dans la réalité de ce quartier populaire de Dakar où j’ai grandi.

Pikine a un le profil assez répandu des ces quartiers populaires que l’on trouve posé à la périphérie des grandes villes, à proximité de l’autoroute à péage. Ma famille y est installée depuis les années 50. C’était, bien sûr, avant ma venue au monde. A l’époque, il y avait quelques cabanes isolées parmi une forêt d’arbres où gambadaient les singes.

Aujourd’hui, Pikine est une ardente banlieue, la plus grosse de Dakar. Il suffit de se promener dans ses rues étroites et sableuses pour constater ses maux. La jeunesse oisive prend le « Thayine », le thé local au coin de rue. A l’heure du repas, les gargotes à ciel ouvert servent une nourriture abondante, et grasse.

J’ai grandi à Pikine. Ma jeunesse (elle n’est pas terminée !)  s’est passée dans les années «d’avant dévaluation du Cfa», survenue en 94. Il me semble que, ces temps là, le quartier était plus serein, moins assailli par l’urgence de survivre.

Jusque dans les années 90, le cinéma Vox était le cœur battant de Pikine. Vox était une salle sombre, infestée de rats où flottent les odeurs d’urine, de sueurs, de chanvre indien. C’était le lieu où se retrouvaient la racaille ordinaire, les vendeurs à la sauvette, les travailleurs des usines de Dakar. Faut dire que tous n’allaient pas au cinéma avec la noble intention de regarder un film.

Le quartier vibrait aux rythmes des romances venues de Bombay, des acrobaties fantasques de Bruce Lee. Nous portions des pendentifs à l’effigie des célèbres acteurs de Bhollywood.

Les bobines arrivaient à Pikine plusieurs années après leur sortie. Elles recevaient pourtant un accueil enthousiaste. Vox, c’était le grand vestiaire, où l’on venait déposer les angoisses, les tourments, après le gros match qu’est vivre à Pikine.

Aujourd’hui, ce quartier a beaucoup changé. Le cinéma est rasé. Le terrain est acheté par un politicien ; il va y construire un immeuble avec des appartements à louer.

Le cinéma Vox était situé sur une avenue très fréquentée où je passais pour aller à l’école. Mon école primaire, elle, est toujours en place. Mais elle a été en partie transformée en collège pour répondre au boom démographique. A la sortie de l’école, mes camarades et moi, nous arrêtions devant le cinéma, laissant voguer nos imaginations sur les vieilles affiches défraichies. Car nous n’envions pas le droit d’entrer dans la salle.

Vox a laissé un grand trou dans ma mémoire. Je suis soulagé de retrouver sur cette même allée, un repère familier. C’est Mor, un habile cordonnier qui a encore son hangar en face l’ex-cinéma. Il est installé là depuis je ne saurais dire. Assis en tailleur, il répète les mêmes gestes anciens. Son visage est devenu aussi ridé, que les peaux de moutons tannées qu’il travaille. Combien de secrets-a-t-il gardé dans sa tête chenue ? S’il devait y avoir un atelier où l’on redresse le destin chaotique de mon quartier, c’est bien le hangar de Mor. Des générations de Pikinois vont venus lui commander des amulettes pour trouver un travail, pour écarter un rival, ou pour partir…

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