diambar

 Football en post-colonie

 

Le Mali est donc éliminé par tirage au sort. Il y a un fond  irrationnel dans ça. C’est comme si quelque chose de transcendantal qui dépasse la réalité immédiatement compréhensive avait dicté sa loi aux Malien.  Le hasard et ses différents synonymes, la chance, le sort, le destin, la providence, se sont tous ligués pour  choisir leur camp.

Pourtant, les  instances du foot moderne ne sont jamais allées aussi loin dans leur tentative faire de ce sport une pratique intelligente. Le tirage des poules n’est jamais totalement abandonné aux mains (maladroites) du hasard. Dans le jeu, il s’agit de limiter au maximum, les défailles humaines, avec, par exemple le recours àla vidéo pour abriter les litiges l’introduction de la goal line technology.

Tout un tas de critères de performance, de position géographique, de palmarès est pris compte.Après le match, le jeu aujourd’hui est analysé sous l’angle des statistiques : nombre de tirs cadrés, nombre de corners, pourcentage de possession de la balle, etc.Tout cette mathématique tente de présenter le foot comme une activité humaine rationnelle.  On a entend dire par les  commentateurs :  « le score est logique au vu du match » ;  « Victoire méritée »..

Le football moderne tente de domestiquer le hasard par tous les moyens.

La décision de la Caf de laisser le sort Maliens et Guinéens est un couteau planté dans le dos du foot moderne où se tout joue sur le terrain.

Mais quelle est l’image que la Caf donne du football africain en procédant ainsi ? Elle valide de façon implicite le sous-entendu selon lequel  des forces-extra sportives à sont l’œuvre dans le football africain cloisonné dans un ghetto de la planète foot où domine mythe et légendes. C’est tout l’environnement extra sportif qui nourrit un  imaginaire digne d’Au cœur des ténèbres de Conrad,  considéré  comme le sommet de la littérature coloniale.

Regardez le clip de France 24 présentant cette 30ème édition de la Can.  Le décor et la narration sont dignes d’un conte africain.  La  Can est présentée comme la perpétration d’une vieille légende africaine qui remonte à un âge ancien où lesanimaux se réunissaient chaque année dans la brousse. Un enfant (personnage caractéristique du conte) vient perturber cette assemblée de fauves avec son ballon. Et depuis lors les éléphants de la Cote D’Ivoire, les Aigles du mali, les Léopards du Congo, les Lions du Cameroun ont pris goût au jeu. Il est vrai que la dénomination des  équipes africaine.

Les images des supporters africains contribuent à nourrir cette fantasmagorie sauvage. Les stades africains sont des sanctuaires où se perpétuent un rite ancien, quelques morceaux de traditions anciennes. Qu’est-ce qu’on voit ? Une troupe de supporters, habillés de façon bizarroïde,  ou bien le torsenu,peinturlurés de couleurs criardes, dansant criant au son du tambour. Ils rappellent une tribu de chasseurs revenue d’une battue heureuse.

Le football  contribue  diffuser une image  d’une Afrique pas suffisamment « entrée dans l’histoire ».


 La vie est un match, nos amis joueront les prolongations

 

Je repense à ses millions de personnes pour qui le foot est un loisir. Le dimanche, ils sont à la plage, sur les terrains vagues tapant dans la balle pour la forme. A la fin du match, ils n’échangent pas leurs maillots mais de chaleureuses poignées de mains.  Aucun journaliste ne vient les interroger  sur leur score, pour qu’ils disent « l’essentiel c’était de prendre les trois points. » Ici,le score ne compte pas. Parfois iln’ y a pas même pas d’arbitres. Le je qui rend le dessus sur le jeu qui l’emporte sur l’enjeu. L’essentiel, c’est de se bouger,de se dépenser, bruler les graisses enlever le stress causé par les tracas de la vie quotidienne .Le soir on dort bien.  Le lundi matin on a quelques courbatures, mais les jours suivants on se sent tellement mieux qu’on a envie de recommencer. C’est ainsi que jouer au foot le dimanche devient une bonne habitude. On se fait des camarades au jeu. On passe de copains sur le terrain et amis dans  la vie. On s’invite aux baptêmes, aux anniversaires. On assiste aux funérailles.

J’ai connu une des amitiés franches et vieille née sur un terrain de foot du dimanche. Ils sont deux. Bathie et Médoune formaient une paire dans la défense centrale.   Ils sont devenus inséparables dans la vie. Chacun d’eux a donné le nom de l’autre  son fils ainé. Ils ont fait le pèlerinage à la Mecque ensemble.

Le temps passe et accomplit son œuvre. A l’enterrement de Bathie Médoune rend la parole et  dit  l’autre d’une voix triste« pour  la première fois de ma vie, j’ai mal dans l’axe ». Tout le monde avait compris et se sentit triste.  Médoune aimait utiliser des métaphores footballistiques pour parler des situations de la vie courante. Il pleura beaucoup. Dans son oraison funèbre, il rappela les qualités de son défunt partenaire dans  l’axe : défenseur prompt, doué d’un flair remarquable, il était toujours premier sur tous les  bons ballons. Personne ne comprit réellement, mais on l’écouta religieusement.

Le dimanche suivant, Médoune s’achète un maillot Psg (son équipe du cœur) floqué « Thiago Silva » ressort ses godasses qu’il avait raccrochées depuis bientôt 10 ans. A la question de sa femme,  surprise de voir son vieux mari ainsi habillé, Médoune explique  qu’il a décidé  reprendre le sport, d’aller rejouer au foot le dimanche. « C’est la meilleure façon de lui rendre hommage à mon ami Bathie, tu sais  on était comme deux frères dans la vie ».   Emue,  la femme Adja  salue la fidélité de son mari   la mémoire de son meilleur ami. Quand il revient Adja lui chauffe de l’eauet l’encouragea. Médoune sent la fatigue partout. Il a  couru a un train de caméléon, ais c’est suffisant pour réveiller ses rhumatismes.

Le deuil passe. Médoune se dit  qu’après c’est la vie. On a va tous y passer un jour. Mieux vaut faire sa vie. Juste avant de mourir son ami Bathie avait fraichement épousé une deuxième épouse. Une belle et jeune femme qui  lui avait également tapé dans l’œil, « mais le flair remarquable de Bathie  toujours premier sur les bons ballons ». Il avait même entamé les nécessaires démarches pour remarier la fraiche veuve.  Mais comment le dire à Adja ?. Il avait tenté plusieurs métaphore : «la deuxième mi-temps »  « Jouer les prolongations »Toutes ces formules qu’il avait retournées dans sa tête sans oser les prononcer devant Adja.*

Lasse d’attendre, la nouvelle femme menace de  quitter si Médoune n’assume. Par ces temps de froid, Médoune pensant aux douceurs de la endossa son maillot « Thiago Silva »  et dis à Adja : « Tu sais que Bathie est monté il; il faut que j’assure la couverture»


J’ai trouvé d’où vient l’âpre, le doux chant des stades

Il  est salutaire que cette 30e Coupe d’Afrique des Nations (CAN) n’ait pas succombé à Ebola. Il est heureux de voir que, malgré tout, le jeu se poursuit sur ce continent souvent frappé par les tragédies, terrain miné et surface de réparation des épidémies.

Pendant la CAN, une mascotte en chasse une autre. Quelle image voit-on habituellement de l’Afrique ? Celle de la misère : l’enfant africain, accablé par les mouches, la peau tirée sur les flancs, le ventre gonflé sur des jambes en coton-tige, à la traîne d’un funeste cortège de réfugiés. Cet enfant est devenu la mascotte de l’Afrique. On le voit réapparaître à chaque famine, à chaque guerre sur les papiers glacés des magazines, sur les écrans des grandes chaînes de télé.

Le foot donne le change. La CAN ne doit pas détourner les regards des massacres de Boko Haram, des malades de Guinée, du Liberia ou de Sierra Leone et du terrorisme au Nord-Mali. Mais cette manifestation donne à voir cette autre Afrique qui ne veut plus être un vulgaire grabat, mais un terrain de jeu, de saine passion.

Pendant trois semaines, un bruit singulier va rythmer la vie sur le continent : le cri sorti des entrailles d’un public de stade, repris avec un léger différé par les radios, les télés et qui se transforme en un formidable écho dans nos villes, nos quartiers, nos villages. Ce rugissement vibrant se lève soudainement et atteint son point culminant dans une explosion d’émotions retombant aussi brutalement que le chahut d’une cour de récré brusquement interrompu par le son de cloche. Ecoutez cette clameur des stades, c’est l’addition des cris de chaque supporter, repris en cascade par les aficionados dans les salons, dans les grands-places, dans les transports, les entreprises.C’est le pouls de l’Afrique qui joue. Pour celui qui sait prêter l’oreille, il y a dans cette clameur hurlante les accents de la passion, les modulations de joie ou de déception devant l’action de but ou l’occasion manquée. Car la trajectoire de la balle sur le rectangle vert renvoie souvent celle de ces destinées sur le continent.

Au-delà de ce tumulte, il y a un message subliminal à capter : le message des peuples d’Afrique, qui malgré l’adversité et l’épreuve tentent de trouver leur place dans l’histoire.

C’est pourquoi il y a un formidable espoir en chaque Africain qui s’accroche aux foulées des footballeurs, à  leurs exploits sur le terrain. Cette passion collective est un contrepoids au destin souvent tragique du continent.

On peut déplorer l’influence grandissante du business et l’emprise croissante de l’argent et des applications technologiques sur le football moderne, mais pour beaucoup d’entre nous, ce sport reste une école de la vie, où nous avons acquis les valeurs constitutives de solidarité, du don de soi, de l’esprit d’équipe,de la franche camaraderie. Dans le jeu des professionnels aguerris, dans le coup de reins enchanteur d’un Sadio Mané nous recherchons le souvenir d’un geste lointain qui remonte au temps de l’enfance. De l’Innocence.

Quelque part dans les rues d’Afrique, un gamin esquisse aujourd’hui le geste qui demain fera vibrer à l’unisson les cœurs. Si vous voulez savoir, c’est là que vient le doux chant, l’âpre chant des stades. En regardant la CAN, je ne rêve pas simplement de la victoire, mais d’une Afrique où chaque enfant pourra tranquillement taper dans son ballon.


Quand vous regardez un match à la télé, coupez le son !

En cette période d’effervescence footballistique sur le continent, j’ai une pensée pieuse pour un vieil ami, Maha Diop, tirailleur sénégalais disparu récemment, juste avant son 87ème anniversaire.  Il avait l’âge d’être mon grand-père, mais entre lui et moi, on se donnait du « camarade », sans protocole. Maha Diop était un vieil ancien combattant,  bourré de vitalité. Il vivait seul, à  l’écart de la société, dans une vieille maison en ruines aux murs délavés. Je passais souvent le voir en lui tendant une pile de journaux disant : « Camarade, voici les  dernières nouvelles du pays ». Il lisait surtout infos sportives ; on les commentait ensemble autour du thé.

Assis devant ma télé, je repense souvent à lui.  Regarder un match de foot, était la seule et unique concession qu’il faisait au petit écran. Camarade Maha n’aimait pas la télé. Il disait qu’elle rend paresseux et tue l’imagination.  Le soir, il me conseillait de faire comme lui : regarder les étoiles. « Camarade, c’est tellement plus beau», s’enflammait le vieux tirailleur. Une fois, je me suis surpris à l’imiter. On ne m’y reprendra plus. J’en ai tiré un torticolis à vous démonter le cou.

Sa passion du foot était plus forte que sa haine de la télé. J’ai regardé les matches de la dernière Coupe du Monde chez Maha.  Mais c’était  sans compter avec les ressources mentales du vieux, qui n’a jamais totalement cédé à la lucarne diabolique.

Maha regardait les images de foot sans le commentaire. Au début, je pensais que sa télé était défectueuse. Mais non :  le vieux coupe tout bonnement le son. Cela m’a paru étrange.  Maha expliqua alors que  pour éviter d’être un téléspectateur passif, il assure lui-même les commentaires des matches qu’il suit à la télé.

Je sais qu’il nourrissait une méfiance terrible à  l’égard du « français de la jeune génération », comme il disait ; mais je crois qu’il se livrait à ce singulier exercice par esprit « d’ancien combattant » : il n’acceptait pas que quelqu’un s’interpose entre lui et la réalité et lui dicte ce qu’il faut voir. Quand il reportait un match chez lui, Maha sortait une louche en bois (mbattu en wolof ) en guise un micro. Il était habile à ce jeu. Les modulations de sa voix suivaient le cours du match.  Quand le ballon est loin des buts, il baissait le ton et en profitait pour glisser une anecdote personnelle, le plus souvent sur son passé de tirailleur (Ah la rude bataille des Vosges avec les Allemands pendant l’hiver 44 !). Quand le jeu se rapproche de la zone dangereuse, Maha élevait la voix sur un rythme plus saccadé. Seul hic avec lui, une phase de jeu, qu’elle se conclue par un but ou en occasion ratée se termine invariablement de la même manière : une vigoureuse quinte de toux, symptômes de la maladie qui allait l’emporter. «Camarade, un verre d’eau s’il te plait ! », me lançait-il entre deux toux sèches.

J’étais admiratif devant ce vieux combattant qui, tout en vivant à fond sa passion, ne s’était pas laissé envahir par les gadgets de la modernité. J’ai compris que le commentaire de match a un caractère purement ornemental et que sa rhétorique qui charrie les termes génériques de combattivité, d’engagement, etc. est valable pour tous les aspects de l’expérience humaine.  C’était la leçon du vieux Maha. Salut camarade !

 


Envie de devenir une abeille

Samedi après-midi. Je marche tranquillement aux abords du marché du Pikine. Sans but précis. Une luxueuse 4X4 noire se range sur le trottoir à quelques mètres devant moi. Une femme d’âge mûr ouvre la portière côté conducteur et m’appelle. Je m’arrête net. Qui est cette drianké* ? Je ne la connais pas. Ou plutôt je n’arrive pas à la remettre dans ma mémoire. Et pourtant, elle semble bien me connaitre. Elle m’a appelé par mon nom à l’Etat civil. Mon nom au complet, que seules quelques rares personnes connaissent autour de moi.

A mesure que je m’approche de la grosse bagnole, je fouille dans mes souvenirs pour remettre cette figure ronde qui me sourit. Mais qui ça peut bien être ? Elle porte de grosses lunettes noires qui lui barrent la moitié du visage. Un seul indice : la façon dont elle m’a appelé. Ça laisse penser à une ancienne camarade de classe. C’est comme ça que m’appelait la maitresse Mlle Thérèse (vieille fille acariâtre, restée célibataire au-delà de la quarantaine) quand elle faisait l’appel chaque matin ; je me levais alors de mon table-banc et répondais fièrement : « Présent !». En dehors de l’école, ce nom ne me sert presque plus. Pour mes amis, et pour vous, c’est «Diambar».

La femme est devant moi affiche un sourire de plus en plus large, découvre une dentition cariée sous une gencive bleue terne, résidu d’un vieux tatouage. Je suis à sa hauteur. Elle m’interpelle à nouveau, comme pour se rassurer elle-même qu’elle ne se trompe pas. Ah oui, je vois maintenant. La voix n’a pas changé. Des souvenirs perdus au fin fond de ma mémoire remontent en cascades à la surface, tandis que je découvre en cette femme joviale, une ancienne camarade de l’école primaire. Salma, son nom me revient maintenant qu’elle me tend une main grassouillette et lisse. Nous étions intimement liés. Et pour tout vous dire j’étais fol amoureux d’elle. Salma, mon premier amour ! En classe, je lui écrivais des tonnes de lettres d’amour. Pour l’impressionner je mettais dans mes missives des formules galantes que je collectionnais dans un cahier spécial. Un jour je lui écrivis : « Salma, si tu étais une fleur, je serais l’abeille qui te butinerai au printemps ». Soit Salma était exaspérée par mes effusions romantiques, soit elle ne savait pas le sens de « butiner ». A vrai dire moi-même, je ne le savais pas ; je venais de suivre à la télé un documentaire sur les plantes. Dans tous les cas, elle remit la lettre à la maîtresse. Mlle Thérèse m’a regardé par-dessus ses binocles et m’a dit : «Toi abeille, je vais te briser les ailes ! ». J’ai eu les fesses meurtries pendant trois semaines. Finalement, Mlle Thérèse m’autorisa de venir en classe avec un coussin pour pouvoir rester assis.

Je n’ai pas besoin de revoir Salma pour me rappeler cet épisode. Plus de trente ans après, la cravache en lanières de cuir de maitresse Thérèse a laissé des traces. Après l’entrée en sixième, Salma et moi avions été orientés à des collèges différents, distants de plus de 20 kilomètres. J’en étais malade. Nos rapports ont été moins fréquents par la suite. J’appris plus tard qu’elle a été mariée à 18 ans à un riche commerçant de Sandaga, deux fois plus âgé et déjà marié à deux femmes.

«- Alors tu ne me reconnais toujours pas? » dit-elle, rieur.

– Si si, Salma, quelle surprise de te revoir à Pikine ! Ça fait longtemps !»,   bredouillé-je.

– Tu n’as pas changé, dit-elle. »

Je le regarde et me dis intérieurement : « Quel gâchis ! Il y a des abeilles qui ne savent vraiment pas butiner une fleur ». Salma, c’était une petite fille au visage d’ange qui annonçait une grande beauté. Mais à l’arrivée le constat est plutôt décevant. J’essaie de retrouver le souvenir de sa fine et gracile silhouette dans ce corps potelé enveloppé dans ses larges boubous. Salma a perdu ses fines fossettes qui creusaient ses joues lisses et délicates. Comme le temps a passé sur ce visage devenu gras et lourd, surmonté de fausses paupières, épaisses comme une brosse de balai. Et cette peau jadis d’un noir d’ébène, aujourd’hui martyrisée par le Xessal** et sur laquelle les veines sont marquées en relief.

Accolades. Echanges de nouvelles. Et sans même me demander si j’étais marié, Salma lance : «Comment va Madame ; et les enfants ils se portent bien ». Je réponds sommairement «ça va». Sans enter dans les détails. Que voulez-vous, que je lui balance comme ça qu’à près de quarante ans  je suis encore célibataire, hébergé par mes parents avec un job précaire, quand elle étale là, devant moi tous les attributs d’une insolente réussite sociale ?

J’avais appris par d’anciens camarades d’école que Salma, exilée depuis aux Almadies, était devenue une prospère femme d’affaires. Elle va à Dubaï au moins une fois par moi.

Salma m’informe, d’une voix triste, qu’elle a perdu son mari, il y a un an environ. L’homme lui a visiblement légué un joli pactole. Elle a déménagé des Almadies** (Un quartier devenu « trop calme » à son gout) et a acheté la maison de ses parents à Pikine. Elle y vit seule. Ses deux enfants sont partis en France poursuivre leurs études.

« Monte, je te dépose ! », me dit-elle, au fil la discussion. Aussitôt, je me suis senti poussé des ailes. L’envie subite de redevenir une abeille. N’en déplaise à maîtresse Thérèse.

drianké* : femme sénégalaise d’âge mûr

Xessal** : dépigmentation de la peau

Almadies*** quartier chic de Dakar


Ma « spéciale soirée» saint-Sylvestre

Quel était votre programme la nuit du 31 décembre ? Moi j’ai été invité à une «soirée spéciale». Je ne suis pas très mondain. Je préfère de loin rester chez moi et lire. J’ai répondu à l’invitation pour faire plaisir à une amie très proche qui en est l’organisatrice. Mais, entre nous, je suis aussi allé à la soirée dans l’espoir de passer du bon temps. Sortir un peu ça ne fait pas de mal. J’ai mis mon plus beau costume, que j’ai dû porter une ou deux fois.
La soirée spéciale se passe dans une boite très branchée, située dans un quartier tout aussi huppé de Dakar. J’étais assez curieux, et je n’avais aucune idée de ce qu’est une «soirée spéciale». A mon arrivée, ma première surprise est de ne pas trouver d’orchestre sur la scène. Dans une cabine au fond, le Dj diffuse une musique douce, sirupeuse. Je suis tout de suite frappé par l’ambiance bal de promo. De jeunes couples s’enlacent langoureusement sous une lumière tamisée, assez incitative. C’est donc ça une « soirée spéciale », un banal bal d’ados attardés ? Mon amie organisatrice m’avait invité via Facebook. Elle avait dit : «J’organise une soirée spéciale le 31 décembre ; je t’invite, tu es présentable, et tu as une activité professionnelle». Ce sont là les critères de sélection des participants à cette « soirée spéciale » qui se déroule sous mes yeux. Qu’est ce que je vois autour de moi ? De jeunes hommes d’une timidité maladive qui, même si on plongeait la salle dans l’obscurité la plus totale n’oseraient jamais regarder une fille. Les filles, elles, appartiennent à deux catégories : 1) les pucelles hyper-maquillées reconnaissables au coup d’œil à leurs poitrines en planche à repasser ; 2) les anciens «garçons manqués» habillés ultra court et déterminés à réussir la vie de femme. Tout le monde a l’air heureux. A minuit les gens portent des toasts et font des vœux pour l’année 2015 : «que chaque célibataire présent ici trouve un conjoint». Je comprends alors que je suis à une soirée de rencontres. Le but est de trouver chaussure à son pied.
Je ne savais pas que ces soirées s’organisent à Dakar. L’idée de dégotter une épouse socialement stable ou en tout cas qui a «une activité professionnelle» ne me déplait pas. Une fille m’aborde. Elle est grande, lunettes fines façon intello, fard débordant et greffage passé de mode. Mais, je me dis qu’un homme digne de ce nom doit savoir, le moment venu, fermer les yeux sur les imperfections physiques de sa future femme. Elle dit qu’elle s’appelle Alima et prépare une thèse sur le «Processus de dissolution des ions bicarbonates» ; afin je crois que c’est qu’elle m’a raconté. J’ai tapé sur google, ça a donné un tel charabia. Elle m’approche avec l’air de quelqu’un qui joue son va tout sentimental et me souffle avec une voix de velours éraillée. «Voulez- vous m’accordez cette danse ?»- Le genre de truc qu’on répète plusieurs fois devant la glace avant d’aller à une soirée. En dansant, une musique zouk, je lui explique brièvement ce que je fais dans la vie. Elle me murmure dans le creux de l’oreille :« Entre intellectuels on peut s’entendre, non ? C’est rare de trouver un homme cultivé, de nos jours ; ils parlent que de foot, de lamb.» Quelque chose sonne faux dans sa voix. En plus, elle sent l’alcool. Le Dj enchaine avec une musique slow. Alima s’abandonne sur moi et me serre contre elle ; un bras passé autour de ma taille et un autre sur mes épaules. Elle me presse de plus en plus fort contre elle, avec une force surprenante. Et subitement, elle essaie de m’embrasser dans la bouche en me pressant la nuque. Je me détourne vivement, évitant son haleine empestée. Dans mon mouvement brusque j’ai senti quelque chose bouger dans son soutien-gorge. J’étais en train de me demander si les seins de Alima ne sont pas des faux, quand je sens une dureté comme ma jambe. Et en une fraction de seconde, ça devient aussi dure qu’un manche de pelle. Je dis alors à ma chère Alima, tout aussi mielleusement dans le creux de l’oreille : «Lâche moi ou je crie, sale travesti !»

 


Lecture et autres idées sur la littérature

A mon avis, le roman africain doit faire entendre la poésie et l’authenticité des noms africains que la colonisation et l’islamisation ont rayés de nos registres de naissance. Je préfère que les personnages se nomment Khabane, Deguène ou Nogaye au lieu de Abderrahmane, Joséphine ou Marguerite.
J’ai trouvé dans « Les testament trahis » de Kundera cet hommage à Louis Ferdinand Céline l’auteur de Voyage au bout de la nuit… Je le recopie : «Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que l’œuvre de Céline, grâce à ses errements, contient un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. Car le pouvoir de la culture réside là : il rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse »

«Neige» de Orhan Pamuk
Ka, un poète turc, quitte son exil allemand et part enquêter pour le compte d’un journal dans une sinistre bourgade d’Anatolie, Kars. Particularité de Kars : les filles ont une fâcheuse tendance à se suicider. Voilà pour le décor de ce roman de Pamuk (Nobel 2006) où se mêlent pseudo enquête journalistique, intrigue politico-religieuse, ferveur kémaliste, passion amoureuse (Ka retrouve Ipek, un amour de jeunesse, en fait c’est la vraie raison de sa venue à Kars). Ajoutez à ce tableau un fond de jacquerie islamiste, qui tourne en massacre de civils et vous aurez fait le tour de ce ( gros) roman de Pamuk (Gallimard 2005 pour l’édition française). «Neige» est trop prétentieux, écrit dans un style qui se veut parodique, poétique, mais à la fin lourdingue…
Dans le nouveau roman du sénégalais Louis Camara, « d’Au-dessus des dunes » (Editions Athéna), le personnage principal est un chien dénommé Nestor. Ça rappelle un roman de l’américain Paul Auster «Tombouctou » dont le « héros », Mr Bones, appartient également à l’espèce canine. Hasard littéraire ou inspiration commune ?

On ne sait vraiment pas ce qu’est AIMER tant qu’on n’a pas lu « L’Amour au temps de choléra » de Gabriel Garcia Marquez.
Lord Jim. Récit sur l’honneur, la rédemption, la fraternité. C’est l’histoire de Jim, jeune marin qui a abandonné son bateau au moment du naufrage, à son bord des pèlerins qui se rendaient à la Mecque. La culpabilité, le poids de la faute hantent Jim qui rôde comme une âme en peine sur les ports du Pacifique ouest. Lecture un peu ardue. Mais classique indéniable. Un des grands romans de Conrad.

Sentiment mitigé après lecture de La Route de Cormac McCarthy, estampillé chef d’œuvre (Pulitzer 2007). L’histoire ? Un père et son fils trimballent leurs nécessaires dans un charriot. Alentour, tout est brulé, cramé. La famine les guette. Une horde de mangeurs d’hommes les traque. L’apocalypse est arrivée. Ils sont les derniers de leur race… Écriture extrêmement dépouillée, austère. C’est peut-être l’atout de McCarthy, écrivain culte.

 

 


Extraits de correspondances d’avant rupture

Dans mes précédentes chroniques, j’ai publié la lettre qui a scellé de façon définitive ma relation avec Sophie, mon ex, une Toubab, partie à Paris. Je vous ai également montré la réponse qu’elle m’a envoyée ; une lettre teintée de chagrin et d’amertume. Je la comprends : ce n’est jamais facile de quitter quelqu’un qu’on aime. Pour moi, non plus, la décision n’a été facile à prendre. J’ai choisi de vois faire lire des extraits de nos longues lettres, qui montrent assez bien notre complicité amoureuse et intellectuelle.

Sophie : Mon chéri, je suis bien arrivée à Paris, un peu avant 18 heures. Il fait un froid de canard. Le thermomètre affiche 5 degrés. C’est un très dur de te quitter, et d’avoir quitté Dakar; à côté Paris est bien trop vaste et très rapide, c’est redevenue presque une ville inconnue pour moi. Et j’ai trouvé un appart avec Pauline. Il est tout petit, mais dans un quartier super, près des Invalides. On attend la réponse de la propriétaire. Ce soir je fais un dîner avec mes copines, on mange du fromage et de la ratatouille et on boit du vin rouge, je pense à toi ;. Je pense sans cesse à toi, à nos retrouvailles. J’ai envie que tu me serres dans tes bras. Je t’embrasse fort.

Moi : Ma chérie, j’ai bien hâte de revoir à Paris. J’y suis venu une fois, en avril 2012. J’ai gardé de beaux souvenirs du printemps à Paname. Notamment une après-midi, dans un appartement douillet près de la Tour Eiffel, avec quelques amis… La radio distillait So What de Miles Davis, le grand maitre du jazz. C’était un instant calme, tranquille qui m’a coupé de l’agitation extérieure de Paris. C’est un de mes rares souvenirs de Paris puisque je n’avais rien visité de la ville, ni pris de photos. J’étais trop dépaysé pour ça. Pendant tout le séjour, je suis resté cloitré dans ma chambre.

Sophie : Je ne peux pas rester longtemps sans avoir de tes nouvelles… Je me demande si tout va. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis une éternité… Ecris- moi si tu as le temps. Des milliards de bisous

Moi : Ma chérie, on est lundi après- midi. La maison est clame. Tout le monde est parti au travail. Quelques vieux coqs caquettent dans la cour. J’ai, comme d’habitude, du temps devant moi.. Pourtant cette fois-ci, j’ai bien du mal à le remplir. Ce matin, je suis sorti acheter quelques vieux bouquins jaunis par le soleil à la libraire par terre. Depuis quelque temps je ne lis que des auteurs russes. C’est un trésor inestimable, un peu négligé en Afrique francophone où la littérature étrangère se limite souvent aux auteurs français. Quand je lis un roman je donne des visages familiers aux personnages. C’est le tien qui s’est s’imposé à moi quand j’ai voulu visualiser Nathalie Rostov, une des héroïnes de « Guerre et Paix » de Tolstoï. C’est une façon pour moi de retrouver dans la fiction des gens que j’ai connus réellement. D’ailleurs, pour moi les vrais personnages, on les trouve dans les romans… C’est long à expliquer, mais tu sais qu’au Sénégal combien les relations sociales sont factices et superficielles…

Sophie : Je sais que tu as toujours tenu en horreur les artifices… Je viens de finir « Gatsby Le magnifique ». Ça faisait très longtemps que je n’avais pas lu un chef d’œuvre. Je lis beaucoup de littérature contemporaine, donc je tombe sur beaucoup de livres assez moyens. Gatsby, c’est sublime, c’est subtil, et fin, comme brossé à la feuille d’or, c’est très évocateur aussi tu as l’impression de sauter dans des toiles des années 20 (…)
Te souviens quand, à Dakar, on a vu les films de Christophe Honoré, notamment « Dans Paris » et tu avais dit que c’était très parisien. Je suis allée au cinéma hier et j’ai regardé un autre de ses films, qui s’appelle « Les bien-aimés ». J’ai beaucoup pensé à toi, parce qu’il a enfin quitté son microcosme. Je veux dire, ça se passe encore en partie à Paris, mais ce n’est plus parisien, tu vois? C’est devenu complètement universel. L’histoire commence dans les années 60, elle se termine en 2000, c’est bouleversant ; ça raconte combien c’est difficile d’être amoureux aujourd’hui, comme les histoires d’amour sont devenues douloureuses. Catherine Deneuve, qui joue la mère de l’héroïne, et qui a eu 20 ans dans les années 60, dit à un moment, en parlant d’elle et de l’époque : « Je n’étais pas une fille facile, c’est l’époque qui était facile », et c’est tellement juste…
Moi : Ma chérie, c’est toi qui m’as demandé un jour lequel je choisirais entre le néant et le chagrin ? Je ne sais plus ce que je t’avais alors répondu. Je crois que c’est le néant que j’avais choisi ; mais ça n’a plus d’importance. Si j’en reparle aujourd’hui, c’est que j’ai trouvé cette expression dans un essai de Kundera, citant Faulkner. Ce qui est curieux, c’est que j’ai trouvé dans ce même bouquin (« Les testament trahis ») un passage qui aurait pu se glisser dans nos nombreuses conversations sur Louis Ferdinand Céline, l’auteur du magnifique « Voyage au bout de la nuit ». Je le recopie pour toi : « Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que l’œuvre de Céline, grâce à ses errements, contient un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. Car le pouvoir de la culture réside là : il rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse existentielle. »…


Réponse à ma lettre de rupture

La semaine dernière, j’ai publié ici la lettre de rupture que j’ai envoyée à ma copine. Je retranscris ici la réponse qu’elle m’a envoyée

«Cher Rahou,

J’ai rêvé de toi cette nuit; j’avais écrit ça il y a quelques jours et je n’avais pas la force de te l’envoyer; je n’ai pas la force maintenant de le relire.

J’ai repensé à la dernière fois où nous avons fait l’amour, à la dernière nuit passée avec toi. A ce sentiment étrange que nous étions ensemble pour la dernière fois, à l’intensité de te sentir en moi qui se mêlait aux restes de la fièvre qui m’avait saisie les jours précédents. Je me souviens de ton corps immense, fort, et lisse et noir, dans le mien, si blanc. Je me souviens de notre dernier réveil commun, un peu engourdi, assez silencieux.
De notre dernière journée. Du déjeuner chez toi, du moment passé à la plage. De la longue marche pour rentrer, main dans la main. De l’arrivée du crépuscule, ton heure préférée, mon heure préférée. De l’agitation de Dakar, et de l’agitation de mes pensées.

Je me souviens de la boule qui s’est installée dans mon ventre et dans ma gorge.  Je me souviens de m’être souvenue.
Une relation qui commence dans la violence d’une agression nocturne (Nous avions été agressés sur la corniche, vers la place du souvenir à 1 heure du mat) ne pouvait s’achever dans la douceur et la simplicité. Je me souviens des quelques heures avant l’agression, quand j’ai vraiment commencé à penser que j’aimerais vraiment être avec toi.

Je me souviens du lendemain de l’agression, quand tu es venu chez moi, que je ne t’attendais pas, que nous avons passé la journée dans ce restaurant de Sacré-cœur dans la chaleur dominicale, les mouches et la sueur. De la journée au commissariat, jusqu’au club de jazz le soir. Puis de la demi-journée au commissariat, du déjeuner et de la sieste à l’université. De la façon dont tu me disais de ne pas aller au journal. Du retour chez moi. D’Abdelatif Kechich, de Bukowski, du poème que nous lisions, qui disait de « se méfier des gens qui lisent », des battements de mon cœur qui s’accéléraient. De tes lèvres sur les miennes.
Le centre culturel français, le restaurant près de Walf, les films, les bus, les jus de fruit, le gingembre. Ton air si dur parfois. Les poignées de main après avoir passé des nuits ensemble.  Les nuits ensemble, les réveils, les mangues et les verres de lait.
La première nuit, où je t’ai dit que je ne couchais jamais la première fois. Le premier matin, où tu m’as chuchoté dans un sourire que ce n’était plus la première nuit.

Il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas pensé à toi.  Même si peu à peu, je me suis remise à voir les autres hommes, à voir qu’ils existaient, à les désirer certaines fois ; mais tu étais toujours là, en toile de fonds, avec des livres plein les mots, une grandeur unique, une façon de n’être pas fait pour ta vie qui me faisait penser à la mienne. Et quand je t’oubliais un peu, que je guérissais, tu te rappelais à moi.
Je t’ai fait confiance ; j’ai eu confiance en toi, et en ton amour pour moi. Et je me demande si j’ai eu tort. Si j’ai gâché huit mois de pensées. Je ne sais pas si tu ne m’as pas aimée assez ou si tu as été lâche ; peut-être un peu des deux. J’ai été lâche aussi. Et je me demande quelle part de cette histoire nous avons fantasmé.
Je ne sais pas comment finir cette lettre, qui est sans doute la plus dure qu’il m’ait jamais été donné d’écrire. J’ai trop souffert ; cette histoire m’a abîmée. Je sens comme une fissure que je compte bien refermer. Je crois que je ne veux pas de réponse. Du moins pas tout de suite. Pas dans les prochains jours, pas dans le mois qui vient. Je rajoute simplement que je penserai toujours à toi. »

Sophie


Ma dernière lettre d’amour

Ma Chère,
Je reste des heures devant mon ordi, à réfléchir à ce que je vais t’écrire. Je tape, puis j’efface… Je recommence inlassablement ce geste. Jusque-là, je ne sais pas ce que je vais te conter. Si je n’avais pas craint que mon silence ne soit mal interprété, je serais resté encore longtemps sans t’écrire, pour mieux réfléchir. J’aligne donc un mot après l’autre, en espérant que le tout fera sens et de livrera le fond de ma pensée. Je suis assailli par le doute ; doute, non pas sur ce que je ressens pour toi, mais sur la possibilité de cet amour. Qu’elle est la part de rêve, d’utopie, de réalisme dans cette histoire. Pardonne-moi d’être un peu pompeux. Les choses sont assez confuses dans ma tête.
J’ai lu Gibran qui dit :
« Quand l’amour vous fait signe, suivez-le
Bien que ses chemins soient raides et ardus,
Et quand il vous enveloppe de ses ailes, cédez-lui
Même si l’épée cachée dans ses pennes vous blesse
Et quand il vous parle, croyez en lui
Même si sa voix brise vos rêves
Comme le vent du nord dévastant un jardin » *
Il me semble que ce passage ait été écrit pour moi. Je le récite tout le temps.
Oui l’amour m’a fait signe. Je l’ai suivi un bout de chemin. Mais je ne peux aller plus loin. Je n’ai plus la force de continuer. Nous avons vécu une idylle, à durée déterminée. Un mois. Ce fut bref, intense, palpitant. Tu étais loin de chez toi. Loin de tes parents, de ton pays. J’’étais seul. Il y avait une attirance mutuelle entre nous sur les plans physique et intellectuel, on partageait le même point de vue sur beaucoup de choses. Tout cela a immanquablement contribué à nous rapprocher. Rien ne dit que les choses seraient aussi belles par la suite. En plus tu m’admires (c’est ton droit !), mais ça ne rassure pas. L’ascendant psycho-professionnel que j’avais sur toi peut l’expliquer. Mais il me semble que tu es restée dans cette fascination des premiers jours – et je n’ai rien fais pour te faire dépasser ce stade. Je me suis employé à cultiver avec toi mon côté… cultivé, parlant de poésie, de cinéma, de littérature. C’est beau tout ça. C’était comme si, instinctivement, j’ai voulu garder le mythe sauf. Tu ne connais presque rien de moi. Tu ignore mes défauts. Je peux te dire qu’il y a en moi autant, sinon plus, de médiocrité et de lâcheté que chez l’homme moyen.
Je suis trop pessimiste pour espérer que nous pourrions encore vivre des moments aussi heureux. Je voudrais le croire ; seulement je ne rassemblerais jamais assez de courage pour faire face à tous les renoncements, à tous les sacrifices que l’amour demande. Je suis trop attaché à ma liberté.
Et pourtant, il n’y a pas un seul matin où je ne me réveille sans l’envie de t’avoir à mes côtés. Il n’y a pas un seul instant où le désir ne me quitte d’être avec toi, de discuter avec toi, de tout et rien. Mais je compte sur le travail du temps, pour faire lâcher prise à la passion, et faire taire cet irrésistible appel des sens qui me pousse vers toi. Je suis au regret de devoir de dire ça : « Si tu veux mon bonheur, oublie-moi »
Merci pour ses moments de plaisirs. Je t’embrasse.
Dakar, le 25 mars 2014
* Extraits du prophète de Khalil Gibran