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Femmes de footballeurs, épouses d’ambassadeurs, même combat !

Les wags, ça vous dit quelque chose ? C’est l’acronyme de wives and girlfriends (femmes et copines, en anglais) des footballeurs. Elles ne sont pas sur la pelouse, mais elles captent l’attention des médias les plus respectés. Sur le net, pullulent des sites dédiés aux frasques de ces beautés, dont la plupart sont des stars. Mandy Capristo, la copine de Mezüt Ozil est par exemple une chanteuse de R’n’B réputée, presque l’égale d’une Beyoncé. On ne présente plus Irina Shayk Ronaldo, l’une des wags les plus sexy de la planète foot.

Ces sublimes nymphes donnent au Mondial un côté glamour. Dans les gradins, la caméra s’attarde souvent sur ces conjointes, radieuses, une réplique du maillot chéri sur le dos, les joues lisses, peinturlurées aux couleurs du fanion. Ces dames sont bonnes pour le moral de la troupe. C’est pour cela qu’elles font l’objet d’une bienveillante attention. Les wags des Bleus ont été convoyées au Brésil par un avion spécial affrété par la Fédé française de foot. Elles ont même exigé un hôtel cinq étoiles à Copacabana. Veinardes !

Toutes ces faveurs sont justifiées par un fait : les joueurs présents au Mondial représentent leur peuple. Ils sont des ambassadeurs de leurs pays. A ce titre, ils méritent les honneurs de la Nation, ainsi que leurs wags qui dopent leur motivation sur le terrain et les portent à la victoire.

C’est sans doute le même raisonnement auquel est arrivé le Président Macky Sall en signant ce fameux décret, tant décrié par l’opinion et qui octroie, mensuellement, 500 mille de nos Francs aux épouses des ambassadeurs. Après tout, Leurs Excellences, Mesdames les ambassadrices ne sont-elles pas des wags ? Auprès de leurs maris, elles jouent le rôle de réconfort et de supportrices dans leur noble mission : celle de défendre les couleurs du pays à l’étranger. La diplomatie est une compétition de haut niveau. Nos chers ambassadeurs, eux aussi, mouillent le maillot (le costume, plutôt) pour ramener au pays des succès, attirer  des investisseurs. Pour doper l’esprit de gagne chez eux, il n’est pas utile d’avoir une wag dévouée à ses côtés qui pousse au triomphe :  « Vas y chéri, signe une convention d’accord multilatéral !»


Vivez Mondial et veillez Locales

J’habite un quartier (très) populaire à Dakar. Vous imaginez avec quelque intensité les tremblements de filets à Brésil y résonnent.  Depuis le depuis du Mondial, une bande de jeunes gens, oisifs et passionnés de foot, ont la fâcheuse habitude de se grouper, le soir, sous ma fenêtre et commenter les matchs. Conséquence : je dors presque plus. J’ai des heures de sommeil à rembourser.  Et cela a des effets sur mon humeur.  J’arrive tous les matins en retard au boulot, les yeux bouffis. J’avale des barriques de café pour tenir sur mes jambes. Je suis devenu irritable.  Un rien, je pète les plombs.  Je deviens carrément invivable à cause de ses chenapans.

Pourtant, j’aime le foot, mais ces gosses sont en train de transformer mon mondial en enfer. J’ai beau les dissuader : « Boys, s’il vous plait, parlez moins fort ! Je dois me lever tôt demain ! », rien.  J’ai même tenté de les amadouer en leur payant le thé pour qu’ils bougent de ma fenêtre.  En vain

Dans ce quartier populaire, chaque bande de jeunes a son squat. Avec la chaleur qui s’est abattue ces derniers jours sur Dakar, ils ont carrément boudé leurs lits. Je les comprends : il  fait une telle canicule dans les chambres, quand on doit y dormir à cinq ou à six sans ventilo (Même s’il y en a un, les coupures de courant sont de retour !), c’est mortel. Donc passer la nuit dehors est une aubaine. Mais bon, c’est pas une raison de pourrir la vie aux honnêtes gens.

Miracle ! Depuis cinq jours, ce tapage nocturne a cessé. Je n’entends plus ces galopins ratiociner sous ma fenêtre. Après renseignement, j’ai appris qu’un politicien, candidat à la mairie locale, a recruté tout ce que le quartier compte de malabars désœuvrés pour garnir les rangs de sa caravane, contre 2000 balles et un T-shirt à son effigie. Ils sillonnent, du matin au soir, les rues cahoteuses du quartier avec 400 watt de sono dans les tympans  (Bienfaits pour eux !). Deux bonnes nouvelles à la clé

1)       Ils n’ont plus le temps de suivre les matches

2)     Le soir, ils sont trop vannés pout tenir leur grand place.

Nb : Les élections locales et municipales ont eu lieu au Sénégal le 29 juin 2014. Elles ont été marquées par une large défaite des proches collaborateurs du Président Macky Sall


Le football serait-il une forme de sexualité ?

Fußball-WM, DDR - Chile 1:1
Equipe chilienne de football. Wikipedia .org

Quelques jours avant le « Mondial », Sophie, une amie, m’avait dit sur un ton irrité : « Je comprends rien à ce jeu puéril : 22 gaillards en culotte courent derrière un ballon ! »

J’avais essayé alors de lui expliquer l’engouement des hommes pour le ballon rond :  « La plupart d’entre eux ont joué au foot dès le sevrage maternel. Et beaucoup ont rêvé d’être des footballeurs professionnels, et parfois ont raté de peu leur carrière. Le foot, c’est donc une façon de revivre une passion de  jeunesse. »

Sophie répliqua, sans quitter son ton sarcastique : « Les femmes, aussi, quand elles étaient petites filles, ont sauté, avec passion, à l’élastique, mais elles n’en font pas une affaire d’Etat… » (J’ai essayé d’imaginer à quoi pourrait ressembler une Coupe du monde de saut à l’élastique ! )

Je comprends l’agacement de Sophie. Son mari est dingue de foot. Même pour un match sans enjeu, il ramène à la maison son groupe d’amis, des footeux du dimanche matin, doués pour commenter des heures durant une rencontre du niveau Moldavie/ Iles Féroé. J’imagine alors l’ambiance chez elle durant les 30 jours de Coupe du monde !

Si je vous parle de mon amie Sophie, c’est que je l’ai revue hier, la première fois depuis le début du Mondial. Entre-temps, elle a acquis une nouvelle théorie du foot qu’elle s’est empressée de m’exposer : « Pour comprendre la passion des hommes pour le foot, expliqua-t-elle, j’ai suivi des matchs avec eux. Je les ai bien observés. J’ai remarqué que lorsqu’il y a une occasion de but, ils sont tous très concentrés : le corps se raidit, les muscles se contractent, le souffle devient court. Et dès que la balle entre, ils laissent exploser leur joie, poussent des cris de mâles heureux, comblés par le spectacle du filet qui, pris de convulsions, frémit… »

C’était la première fois qu’on me faisait une telle lecture du jeu. Je sais que le foot se joue avec les pieds, mais de là en faire une affaire de… jambes en l’air.

Mais sûre de son raisonnement,  Sophie poursuivit : « Un jour, y a eu match nul 0-0 ; j’ai entendu le soupir des hommes qui, découragés, lâchaient sur un ton dépité : ‘‘ score… vierge… et nul’’ »


Panini, l’album d’une passion de jeunesse

L’édition Panini dédiée à la Coupe du monde 2014 s’arrache, dit-on, comme de petits pains au Brésil.  D’après ce que j’ai pu en voir sur le Net, l’album représente, à grands renforts de photoshop, les joueurs des équipes participant à la Coupe du monde, mais aussi les stades, les emblèmes de chaque pays et les mascottes.

L’album Panini doit réveiller chez beaucoup de lecteurs des paquets de souvenirs. S’il se vend bien ailleurs, sa commercialisation est devenue plus discrète à Dakar. Il n’y a plus le même engouement chez la jeunesse d’ici qu’il y a 15 ou 20 ans. Pour ceux qui ne suivent pas : Panini,  du nom de ses inventeurs italiens, c’ est un album garni de petits posters autocollants de footballeurs.

La collection de ces vignettes a passionné des générations d’écoliers dans le monde.

Panini, c’était plus qu’un simple album de tronches de footeux. Il a cartonné dans les années 80 ; tout comme les Zembla et Tex Willer et les romans photos avaient leurs contingents de fans. C’était une époque où l’essentiel de la culture de masse passait par La photo, la Bd ou le cinéma.

La télé faisait une entrée timide dans les foyers dakarois. Google ou Youtube n’existaient pas.

Nous achetions les vignettes Panini à la sotie de l’école,  en face du cinéma Vox de Pikine, aujourd’hui démoli et et sa ferraille vendue. L’album photos était une façon de vivre sa passion du foot.  J’allais dire sa passion tout court. La copine à qui vous rendiez visite, vous montrait son album personnel où elle est dans ses meilleurs jours. Tout un charme. Maintenant ça se joue sur Facebook.

Panini n’évoque pas seulement une époque révolue avec son cortège de souvenirs, mais il est associé à une certaine façon de vivre.

Il y a sans doute, quelque part dans le monde, des milliers de gens qui, comme moi, nourrissent une nostalgie légitime, et conservent précieusement dans de vieux cartons leurs reliques de jeunesse. D’autres continuent de cultiver leur passion juvénile. Au risque, parfois d’attraper le vice. En consultant les dépêches d’agence, par exemple, j’ai appris qu’un respectable professeur d’une école de Bucaramanga, en Colombie, a été surpris par un élève en train de compléter son album Panini à l’aide de vignettes confisquées en classe.


Ghana- Allemagne et la « deuxième femme » de mon ami

 

Le mondial, c’est une bonne chose pour les couples. Si j’en juge par mon ami Mandiaye, chez qui j’ai suivi, samedi dernier, le palpitant Ghana/Allemagne.

Mandiaye est devenu un mari plus présent à la maison. Sa femme se plaint moins de ses absences répétées et ses descentes tardives. Ses nombreux réunions et dahiras,  ont, curieusement, beaucoup diminué.  Dès 17 heures, il est présent chez lui, et en pyjama.

Mandiaye est un ami de longue date. Il est marié à Astou, elle aussi devenue une amie.  Ils ont trois charmants bouts de choux. Signe  particulier de Mandiaye : il a le projet de prendre une deuxième épouse. Il m’en parle depuis bientôt trois ans au moins. Seul problème : il ne sait comment l’annoncer à Astou.  C’est une femme de tempérament aux réactions volcaniques.

Comme presque toutes les femmes, Astou n’aime pas le foot tant que ça. Il lui arrive, à l’occasion  de suivre quelques matches, les équipes africaines en particulier.

Samedi, nous étions, tous trois, Mandiaye, Astou et moi, installés confortablement dans leur salon en train de suivre Ghana/ Allemagne. Le  match était  à 1-1. Et mon ami déclara subitement, sur la foi de je ne sais quoi, que le Ghana allait  marquer un deuxième but. Sur ce, il entreprit de donner de la voix :

« Allez Ghana, allez un deuxième ! Juste un deuxième et ça fera l’affaire ! »

Les Blacks stars scorent un deuxième but (2-1). Et rien ne pouvait retenir Mandiaye. Il fallait le voir,  sautillant comme un gamin, soulevant l’écran plat, le serrant contre lui. Fou de joie, il me prit à témoin : « J’ai toujours rêvé d’un deuxième, n’est-ce pas mon ami, Je te l’avais dit ! Je sais que ça arrivera un jour. »

Embarrassé, je ne bougeai pas de mon fauteuil. Astou également gardait le silence. Son visage  s’était subitement fermé. Le jeu reprit son cours. Le calme revient. La joie des Ghanéens… et de Mandiaye fut de courte durée. Trois petites minutes. Les allemands trouvèrent le chemin des filets. Egalité 2-2

Astou se leva brusquement de son fauteuil ; quittant le salon,  elle déclara  sans ciller à son mari, médusé,  « Deuxième-bi ma fi baayi woone » *

Mandiaye poussa un soupir dépité : « Ces Allemands, ce diable de Klose, ils savent vraiment gâcher la fête.»

* Deuxième ne me trouvera pas ici


Sur le Bord du stade Maracaña, Paolo Coelho s’est assis et à pleuré

 

«Je n’irai pas à la coupe du monde. » C’est pas moi qui le dis, mais l’écrivain brésilien Paolo Coelho, star de la littérature mondiale et auteur du roman cultissime L’Alchimiste.

Coelho est une icône dans son pays et compte des millions de fervents lecteurs dans le monde. Si le Brésil organise le mondial, il le doit, aussi, à l’influence de l’écrivain – (Mais faut pas exagérer).  Coelho faisait partie de la délégation qui a vendu la candidature de son pays devant la Fifa.

C’est donc un grand coup de pied dans la fourmilière qu’a donné Coelho en boudant le mondial organisé chez lui. L’auteur estime qu’on dépense beaucoup trop de sous pour les stades et le foot, alors que les hôpitaux et l’éducation sont en souffrance dans le pays. C’est vrai. Et les Brésiliens avaient même tempêté contre ça.

Coelho est, avec Pélé et le bikini brésilien, les « produits » auriverde les plus admirés au monde. Il est traduit dans toutes les langues parlées et écrites par les hommes. C’est une véritable machine à best-sellers.

Qui n’a pas vu à Sandaga – même après le passage des bulldozers de Khalifa Sall- un Coelho écorné et jauni mais précieusement exposé sur une plie de livres par terre ?

Une amie étudiante m’a récemment confié : «Le dernier Coelho que j’ai lu, c’est ‘‘Sur le Bord de la rivière Piedra je me suis assise, et j’ai pleuré’’. »  C’est un roman, comme ceux qui le suivent et le précédent, mythique. Promenez-vous avec un Coelho, n’importe lequel,  et vous verrez, immanquablement, quelqu’un s’extasier : « Ah, ce roman m’a beaucoup marqué(e)… »  C’est souvent une midinette post-pubère tout droit sortie de sa crise « Arlequin » et Barbara Cartland. Et qui croit découvrir là la grande littérature.

Moi, je vous le dis sans détour : je n’aime pas les livres de Coelho. Ou je n’aime plus. Pendant longtemps, j’en ai eu à mon chevet. Mais un bon matin, je me suis lassé de ses phrases hygiéniques, de son méli-mélo de bons sentiments, de philosophie de comptoir, elle-même mélange de sagesses à deux sous et de contes pour bébés pré-sevrage. C’est plus ma tasse de thé ! Je ne lirai plus Coelho. Sauf s’il publie un « best-seller » ensorceleur sur le mondial brésilien, du genre : ‘‘Sur le Bord du stade Maracaña, je me suis assis, et j’ai pleuré’’ …


 


Les marcheurs

Au crépuscule, l’appel du muezzin diffuse une inquiétude vespérale. C’est une voix lointaine et résignée qui semble supplier les fidèles à venir célébrer la prière et se racheter. Moi je marche.

J’y vis depuis plus de 30 ans, mais je résiste difficilement à l’envie de pénétrer dans les rues sableuses et étroites de Pikine. J’aime errer dans ce quartier populaire et animé, situé en marge de Dakar.  Son décor et son ambiance exercent sur moi une fascination restée intacte avec les années.

Je ne suis pas le seul marcheur dans les rues de Pikine. Il semble d’ailleurs que le sort de ce quartier pauvre, sans touriste, ni pèlerin, c’est d’être traversé, arpenté, foulé de part en part par des hommes et femmes pour assurer leur survie.

Tous ne marchent pas pour les mêmes raisons. Je n’ai pas le même but, par exemple, que les enfants mendiants, les talibés. Ces gamins sillonnent le quartier dès l’aube, grelottant de froid dans leurs loques. Ils s’arrêtent devant chaque maison, un vieux pot de tomate concentrée sous le bras pour recueillir l’aumône. Ils laissent dans leur sillage une odeur acre de corps d’enfants sales. Leur denier bain remonte clairement à la dernière pluie.

En milieu de matinée, les marchands ambulants prennent le relais des talibés dans la marche. Ces jeunes hommes athlétiques écument chaque matin le quartier avec la même assiduité. Ils vendent des produits cosmétiques aux femmes restées dans les maisons à attendre leurs maris. Ils colportent sur leurs vigoureuses épaules le fardeau de leur commerce de produits cosmétiques : des laits de corps éclaircissant,  des senteurs d’encens, des parfums en bouteille qui s’entrechoquent, produisant un tintement caractéristique, régulier, qui avertit leur clientèle féminine de leur arrivée. Certains parmi ces jeunes vendeurs sont de purs charlatans qui proposent des aphrodisiaques et des remèdes virilisants.

Il y a bien sûr des moments de la journée où rien ne circule dans le quartier : c’est le Njolor, midi. Le quartier est calme à cette heure. Une chaleur étouffante sévit. A l’ombre, les moutons ruminent calmement.  Pour les hommes aussi, c’est l’heure du déjeuner. Je vois une à une les portes des maisons se fermer.  J’imagine les gens assis autour d’un bol de plein de riz. Bientôt, c’est tout le quartier qui s’assoupira dans une longue sieste. Je me rappelle, à l’école primaire, les rédactions portaient souvent sur ces  moments de quiétude absolue. L’intitulé du sujet, péremptoire, prenait toujours la même tournure : « Dans votre quartier, il règne un calme plat, subitement un bruit survient, que se passe-t-il, racontez ? »

Les sujets de rédaction à l’école primaire ne précisaient pas un moment déterminé de la journée.  Mais dans ma tête d’élève, ces moments de calme coïncidaient avec le début d’après-midi, du moins dans mon quartier. C’est le seul moment où le quartier connait véritablement un repos forcé pour cause de digestion. C’est aussi généralement le moment choisi par les malfaiteurs pour commettre leurs forfaits. Il s’agit généralement de menus larcins : un vol de poule ou de chèvre – les seules bêtes qui trainent à cette heure indue dans les rues, pendant que leurs propriétaires tentent de digérer leur copieux repas.  Ce  « Subitement un bruit survient » dont parle les sujets de rédaction de l’école primaire, correspondait très souvent, dans ma tête d’écolier, à un rageur « Au Voleur ! » qui réveillait tout le monde, et mettait tout ce que le quartier comporte d’hommes valides à la poursuite d’un pauvre quidam. Puisque ce bruit « survenait » souvent à mes heures de promenade, il m’est arrivé (trop) souvent d’être fatalement confondu avec ce voleur… (Mais, je vous assure que, même si elles n’ont pas de but, mes promenades dans le quartier ne sont nullement malintentionnées).

Habituellement, Pikine sort de sa torpeur quand le sable est refroidi. Vers 17- 18 heures, les gens sortent de leur maison.  Les rues se repeuplent. Les jeunes hommes oisifs prennent le thé en commentant les affiches des combats de lutte, ce sport violent qui tient en haleine ce pays. Sortent les femmes à la grossesse avancée et légitime. Elles se promènent, elles aussi, à cette heure d’après-midi avancée. La marche est censée faciliter la délivrance, croit-on. Dans leurs camisoles, elles dandinent alors comme des canards empotés. Elles rabattent sur le ventre rond un épais châle pour protéger le bébé de l’œil malicieux.

Quand le crépuscule est proche, tout le quartier semble pris d’une angoisse frénétique. Les mères retirent leurs enfants des rues. De retour de travail, les hommes se dépêchent pour rentrer chez eux et retrouver leurs épouses rondes aux toilettes exubérantes.  Les vendeuses des rues, des femmes ménopausées, lèvent les étales chargés de sachets d’arachides, d’oranges à moitié pourries ou de pastèques découpées en demi lune… En un clin d’œil, toutes les rues de Pikine sont redevenues désertes. Pas une âme qui vive. L’appel du muezzin diffuse une inquiétude vespérale. C’est une voix lointaine et résignée qui semble supplier les fidèles à venir célébrer la prière. Comme si c’était le tout dernier appel, la toute dernière chance de se racheter.  Mais de quoi ?

 


La photo du père

Comment une jeune domestique sénégalaise découvre que Sékou Touré n’est pas son papa ! 

Ce matin, me voyant feuilleter le petit cahier rouge où j’écris mes notes, Fatou, la bonne qui nettoie chez moi, me demande si j’en suis l’auteur. Fatou a une trentaine d’années. Elle parait en avoir dix de plus. Son corps trapu, presque aussi large que haut, a été déformé par les maternités rapprochées et son passé sur les trottoirs de Dakar. La façon intéressée dont elle m’a posé la question me fait croire qu’elle a lu mes notes.

Une fois par semaine, Fatou nettoie ma petite chambre désordonnée. Elle a dû trouver le cahier sur la commode où je le pose. Elle le lit sans doute depuis le début, sans que je m’en rende compte, pensant que, comme la plupart des bonnes, elle était analphabète.

J’ai été imprudent. Ce cahier contient le récit de mes aventures sulfureuses de célibataire à la libido débordante. Embarrassé, j’ai essayé d’expliquer à Fatou que tout ce qui est écrit dans le cahier n’était pas forcément vrai. « Certaines choses sont inventées quoi.. », lui dis-je. Elle m’a regardé d’un air dubitatif, avant de répondre : « Moi, je ne connais pas mon père. »

Fatou fait clairement allusion à un passage de mes notes que j’ai d’ailleurs posté sur ce blog. Surpris et touché par cette confession dont la spontanéité trahit un secret longtemps contenu, j’ai mis de côté le cahier pour l’écouter.

Fatou travaille chez nous (maison familiale) depuis seulement trois mois. D’habitude, on ne se parle presque pas. Elle arrive tous les matins à 9 heures. Elle est aussitôt absorbée par ses travaux domestiques. Moi, quand je suis à la maison, j’ai le nez plongé dans mes lectures. Voyant mon attention toute dédiée à elle, elle  continua de parler, le balai à la main.  « Mon père nous a abandonnés, ma mère et moi, quand j’avais deux ans, raconte elle, prenant place devant moi sur le vieux pouf râpé, le seul meuble de ma chambre, après le lit.

Fatou porte sa tenue de tous les jours : un t-shirt déteint d’où sortent des bras graisseux ; un vieux pagne élimé qui enveloppe à peine ses énormes hanches. Son visage tacheté garde les séquelles d’une intense activité de dépigmentation, le khessal comme on l’appelle ici. Fatou est mère de cinq enfants dont le plus âgé à 11 ans.  Ils sont tous de pères différents.

» D’après Mama, Papa est parti un matin; et n’a plus donné de ses nouvelles, reprend  Fatou. Le seul souvenir qu’on a gardé de lui, c’est une grande photo qui se trouvait au salon : un portrait sous-verre encadré et accroché au mur, à côté de mon certificat d’études primaires, mon unique diplôme. J’ai arrêté mes études à 12 ans, après ma première année au collège. Je me souviendrai toujours de cette photo : Papa est debout, élégant et fier. Il arbore un sourire circonspect, son regard perdu dans le lointain. Son bonnet doré est assorti au fil d’ornement de son grand boubou blanc amidonné et bien repassé.

» Il émanait de la photo une sereine autorité, presque intimidante. C’est pourquoi, j’ai toujours eu l’impression étant enfant que Papa était présent à la maison. Mama apportait un grand soin à la photo. Elle montait régulièrement sur canapé du salon pour la décrocher et frotter le cadre jusqu’à ce qu’il retrouve son éclat des premiers jours. C’était comme un trésor que Papa lui avait laissé en partant, et qu’il devrait retrouver intact à son retour.

» Un jour, Mama tomba malade. Gravement. Il n’y avait pas d’argent à la maison. L’idée m’est venue de vendre le portrait de mon père au marché, ou de le donner en gage. Il pouvait servir à décorer un salon. C’était le seul objet qui avait de la valeur dans la maison. Les gens mettent chez eux des personnages de toutes sortes. Qui n’a pas la photo de son marabout chez lui ?. Avec son grand boubou blanc immaculé, mon Papa pouvait  entrer dans la galerie des saints enturbannés qui encombrent les murs de nos salons et chambres. J’espérais pouvoir tirer de l’argent de ce portrait paternel pour soigner Mama.

» Je suis allée au grand marché de Pikine avec la photo de Papa sous le bras, poursuit Fatou. Je me suis rendue chez un riche commerçant qui a fait fortune dans la vente de posters de chefs religieux de guides des confréries. Il a pris la photo, et l’a longuement regardée. Il l’a retournée dans tous les sens. Ensuite il l’a longtemps fixé, comme pour le replacer dans sa mémoire. Et brusquement le déclic se produisit :

— Mais, c’est Sékou Touré, le guinéen, s’écria-t-il subitement.

– Non, cet  homme est mon père,  protestai-je vigoureusement.

– Tu es la fille de Sékou Touré ! insista le commerçant, sur un ton volontiers railleur.

–   Non, je suis la fille de cet homme sur cette photo, répondis-je.

Pour coupé court, il sortit de sa boutique un autre portrait du même personnage dont je venais d’entendre parler pour la première fois. La légende était sans équivoque…

»  Mama devait mourir quelques jours après. Je n’ai jamais eu l’occasion de lui parler de la photo qui était au salon. En vérité, Mama ne m’a jamais dit que cet homme sur la photo était Papa. Mais, j’avais supposé que, comme tout le monde, je devais avoir un père. Et cette présence masculine qui accaparait l’attention maternelle devait être un père…

» Je n’en veux pas à Mama. Moi-même, je sais maintenant combien il est difficile de dire à un enfant que son père est parti un bon matin sans laisser de nouvelles. »

NB : J’ai transcris ici les propos de Fatou en essayant de lui donner une cohérence et rester fidèle à son récit. Je me suis résolu à publier le texte  tout en étant conscient de ses lacunes. Fatou m’a donné l’accord de le partager avec les lecteurs de ce blog. J’ai amputé, tout en me demandant si cela n’a pas tué l’intérêt du récit, certains passages de sa vie personnelle, comme son passé de prostituée à Dakar,  une expérience qui lui a laissé, entre autres, cette peau de hyène.  Ce n’est pas la seule précaution que j’ai prise. J’ai changé son nom. Fatou est le nom d’emprunt que se donnent les bonnes sénégalaises. 


24 heures à Pikine

 Savoir vivre parmi les parvenus, supporter les gens de mauvaise humeur  et leurs odeurs et veiller sur le sommeil des voleurs de courant.  

Au petit matin, j’ouvre les battants de ma fenêtre qui donne sur la rue principale à Pikine, Tallyboubess. Devant moi, une longue journée vide et oisive me tend les bras comme une pute fauchée.

Je sors prendre de l’air. Par une belle matinée ensoleillée, je me fraie difficilement un chemin sur les trottoirs de Pikine encombrés par les étals des marchands et les épaves de voitures. Un coup de klaxon appuyé me fait tourner la tête. Roulant à vivre allure, l’homme au volant de la Lexus sort au-dessus de la vitre un bras vigoureux, bien nourri où scintille un bracelet-montre neuf. J’ai à peine eu le temps de reconnaître un vieux camarade de classe du primaire que la voiture disparait dans le grouillant flux des voitures des gens qui vont au boulot. Cet ancien cancre, incapable de réciter les jours de la semaine, a l’air bien malin ce matin au volant de sa rutilante bagnole.  En me plantant là sur le trottoir, j’ai l’impression qu’il m’a tendu la langue : « Hé, à quoi le génie, ça t’a servi d’être premier de la classe toute ta vie ?» Je réprime difficilement mes échecs mes frustrations de célibataire désargenté.  Cet imbécile m’a surtout gâché la journée.

Si dans mon quartier à Pikine, vous saisissez, en plein jour, quelqu’un par le bras et lui demandez : «Etes-vous heureux de vivre ici, dans ce trou perdu ?», que croyez-vous il vous répondra ? Vous verrez qu’il écarquillera les yeux, avant de vous les braquer grands ouverts, ébahis, comme si c’est un extra-terrestre l’avait accosté au milieu de la rue. Pour un Pikinois, (c’est comme ça qu’on nous appelle) cette question ne fait pas plus de sens que si l’on vous demandait : «Que faîtes-vous sur terre ? »

Vendredi soir, dans le car rapide, ces tas de ferraille vecteurs de tétanos, qui servent de transport dans la banlieue dakaroise, une violente dispute éclate entre deux dames. Ce sont deux de ces femmes potelées, pré-ménopausées à la peau dépigmentée, sentant la sueur de la veille. Elles sont de celles qui se lèvent à 5 heures du mat, la bassine sur la tête, pour aller vendre le poisson en ville. Ces querelles de femmes vendeuses de poisson sont fréquentes dans les transports en commun surchargés, surtout le soir. Les nerfs sont tendus. La moindre friction est prétexte pour laisser exploser sa colère, attisée par la fatigue, le manque de sommeil, les privations quotidiennes et le basculement hormonal causé par la ménopause. Les deux femmes s’échangeaient les pires insanités se traitant de putes, d’épouses mal b…. Elles criaient plus fort que le mbalax déversé plein pot par les vieux hauts parleurs du car rapide. Un homme, la cinquantaine, élégant dans son costume sombre à fines rayures, jugea sans doute qu’il commençait à faire trop de boucan dans le car. Il usa alors de sa voix la plus masculine pour faire taire les deux bonnes dames.

–         «Mesdames, franchement là, hein vous en bouchez un coin, là», lança-t-il dans un français sans tache.

L’homme fit grand effet. La dispute cessa sur le champ.  C’est d’ailleurs tout le car qui s’est immédiatement tu.

Tenant à laver l’affront sur-le-champ, en français, l’une des protagonistes  répliqua au respectable monsieur en costume : « Hey Moussé, on t’a pas conzigué, reste à l’infinitif !»

La nuit, comme vous savez, j’ai souvent des insomnies. Pour les gens comme moi qui ne font rien de leur journée, le sommeil est un luxe. Au beau milieu de la nuit, il m’arrive d’entendre tinter le grelot d’un cheval à trois pattes échappé de l’étable de la légende.  M’arrive de loin le cri des bébés insomniaques qui se mêlent aux jappements de chiens bâtards. J’entends aussi le ronronnement des frigos branchés nuitamment dans le secteur de la Sénélec, la Sénégalaise de l’électrique.

 


Balzac et moi

Je reviens toujours à Balzac quand je suis en panne de lecture. En plus c’est un excellent somnifère- ce qui n’est pas rien pour un célibataire oisif habitué à passer des nuits blanches. On peut craindre le style ampoulé et enflammé, mais La Comédie humaine peint un magnifique tableau de l’envie de parvenir dans une société où l’argent est la valeur suprême. Je suis sans doute un modèle de l’anti-héros balzacien. Je possède trop peu cet esprit de conquête qui caractérise les personnages de Balzac – ne serait que pour draguer une fille, me fut-elle largement accessible- afin je l’espère – comme la fille du gardien de notre miteux immeuble.

J’ai ouvert donc La Cousine Bette. Je possède un vieil exemplaire aux pages jaunies, à couverture rouge, trouvé au marché Colobane. Je l’ai acheté donc à un prix modique pour le sauver du soleil où il était exposé, en attente d’un improbable lecteur. Puisque, ce n’est pas une œuvre inscrite au programme scolaire, son calvaire n’était pas près de se terminer. Et, d’ailleurs qui a le temps de lire dans ce Dakar pollué, gagné par la fureur de survivre. Et surtout un Balzac de 400 pages et poussière.

En plus, j’éprouve donc de la compassion pour ces pauvres bouquins cramés vendus en vrac, ouverts aux quatre vents sur les trottoirs de la capitale. Ils ne connaîtront pas le sort enviable de leurs semblables soigneusement rangés et époussetés sur les rayons climatisés du Centre culturel français.

J’ai ouvert donc le bouquin, La Cousine Bette. C’était un matin frais et calme. Je suis tombé sur un passage où Balzac exalte avec sa ferveur habituelle la passion quasi charnelle qu’est l’acte de créer, et écrire en particulier. On découvre combien écrire est exigeant en efforts, et en sacrifices. C’est un talent fragile et capricieux. Il a besoin d’être constamment nourri, entretenu et consolidé. En relisant ce passage, j’ai compris que le sacerdoce de l’écriture n’était pas à la portée de tous. Je suis devenu plus indulgent à l’égard de ceux qui ont rangé leur plume et de tous ces « intellos » sénégalais omniprésents dans les médias et qui n’ont jamais écrit une phrase.

Extraits

« Penser, rêver, concevoir de belles œuvres, est une occupation délicieuse (…) Celui qui peut dessiner son plan par la parole, passe déjà pour un homme extraordinaire. Cette faculté, tous les artistes et les écrivains la possèdent. Mais produire ! mais accoucher ! (…) ne pas se rebuter des convulsions de cette folle vie et en faire le chef-d’œuvre animé qui parle à tous les regards en sculpture, à toutes les intelligences en littérature (…) c’est l’Exécution et ses travaux. La main doit s’avancer à tout moment, prête à tout moment à obéir à la tête. Or, la tête n’a pas plus les dispositions créatrices à commandement, que l’amour n’est continu.
Cette habitude de la création, (…) cette maternité cérébrale si difficile à conquérir, se perd avec une facilité prodigieuse. L’Inspiration, c’est l’Occasion du Génie. Elle (…) n’a pas d’écharpe par où le poète la puisse prendre, sa chevelure est une flamme, elle se sauve comme ces beaux flamants blancs et roses, le désespoir des chasseurs. Aussi le travail est-il une lutte lassante que redoutent et que chérissent les belles et puissantes organisations qui souvent s’y brisent. Un grand poète de ce temps-ci disait en parlant de ce labeur effrayant : « Je m’y mets avec désespoir et je le quitte avec chagrin… »
Balzac : La Cousine Bette

 

Enfin, et c’est la chose qui me plaît le plus dans cet extrait : j’ai retrouvé le sujet d’une composition française : « L’inspiration, c’est l’occasion du génie ». Cette citation de Balzac avait secoué nos jeunes méninges. Un ami, devenu un journaliste réputé, m’a confié qu’il s’était confronté à cette dissertation au lycée. Il avait commencé sa copie ainsi : « Personnellement, je ne crois pas à l’inspiration. C’est une bêtise romantique qui ne mérite pas qu’on perde notre temps ! » C’est son avis !  Mais cela n’a pas plu à son prof de français, qui l’a pris pour une attaque… personnelle. Mais ça, c’est une autre histoire…