diambar

Extraits des carnets solitaires

Je vous livre ici, en vrac, quelques passages extraits du cahier où je note mes pensées, mes idées.

Ce matin, deux questions «existentielle» me taraudent

1-    Comment aller aux toilettes quand les fosses septiques de ma maison sont pleins à déborder ; dois-je en  rajouter ?

2-    Je ne sais toujours pas si je dois mêler mes caleçons bon marché à mon linge ? Comment réagira la femme de ménage ?

Fatou travaille chez moi (maison familiale) depuis seulement trois mois. D’habitude, on ne se parle presque pas. Elle arrive tous les matins à 9 heures. Elle est aussitôt absorbée par ses travaux domestiques. Fatou porte sa tenue de tous les jours : un t-shirt déteint d’où sortent des bras graisseux ; un vieux pagne élimé qui enveloppe à peine ses énormes hanches. Son visage tacheté garde les séquelles d’une intense activité de dépigmentation, le khessal.

De ma terrasse j’aperçois, Khoudia, fille de joie aux charmes fanés, assise sur le pas de sa porte, la main sous le menton, le regard tourné vers un insondable horizon. Pense-t-elle à prendre une retraite anticipée ? Ce serait une mauvaise nouvelle pour les célibataires du quartier !

Pour tout vous dire, je me vois, dans quelques années, en bon père famille, marié à  une Sénégalaise obèse et dépigmentée. Pour la bonne ou mauvaise raison que j’ai été culturellement «préparé» à cela. Je sais bien qu’il y a un peu de lâcheté à vouloir se réfugier derrière son éducation pour justifier ses choix. En réalité, je suis plus conservateur que je veux bien le laisser paraître.

Je me demande pourquoi Facebook ne me propose que des filles à ajouter sur ma liste d’amis.

Quand j’entre dans ma chambre désordonnée, mes nombreux livres éparpillés sur le lit, sur la commode m’interpellent : « Lis-mois s’il  te plait ». Y a du beau monde sur ma liste de lecture : Wilde, Mabanckou, Gide…

Je suis triste de constater que sur les marchés de Dakar, les vendeurs de téléphones portables et autres gadgets électroniques prennent la place des librairies « par terre  » C’est peut -être ça le progrès ! C’est dans ces librairies à ciel ouvert, que j’ai découvert Hugo, Gide Dostoïevski, Camus et, pardonnez moi, Gerard de Villiers.

Une bibliothèque nationale est plus utile pour le Sénégal qu’une arène de lutte !

Le samedi, je me lève tard. Et généralement, je n’ai qu’une idée en tête : profiter du temps libre devant moi pour flâner. J’aime bien acheter, à  25 Francs Cfa, sur les tables des vendeuses ménopausées, des sachets de thiaf ;  la seule denrée qui échappe à l’inflation. Tout en marchant, j’aime sucer la clémentine sucrée ou les oranges du pays au goût acide que les  vendeurs peuls pèlent en rondelles avant de les décapiter d’un coup de couteau. Quant aux grosses pastèques vertes entassées sur le bas-côté de la route, je me plais à les regarder comme de gros œufs pondus par des dinosaures échappés du jurassique…


Dans la clinique du monde

Je tiens un livre ouvert sur mes genoux. Je lève les yeux vers le ciel. C’est la naissance du jour. Un vent frisquet caresse mes joues, secoue paresseusement le feuillage des arbres comme une maman réveille un enfant un lundi matin : « Mon chéri, lève toi tu dois aller à l’école. » Je suis assis sur ma terrasse sur une longue chaise en fer, habillé d’un simple  short  aux couleurs de l’équipe de foot de mon quartier sans palmarès. Je suis sorti de  mon lit un peu plutôt, quand la nuit était encore noire, pour lire (un luxe que peut se payer un célibataire). Là j’assiste à la naissance du jour, médusé et amusé. L’aube est pour moi un moment intensément poétique, de réveil, d’éveil et d’étonnement. Je sais que vous êtes en train de vous dire que je suis un pauvre rêveur désœuvré… Mais je l’assume.

J’ai donc arrêté la lecture (un livre de Ken Bugul, acheté au « par terre ») pour admirer l’aube, contempler le vol inaugural des oiseaux,  sorte de décrassage matinal dans le ciel. Une lueur blanche s’élève à l’horizon, dissipant les dernières ombres autour des blocs de maisons.  A  cette heure du jour, me revient toujours une chanson apprise à l’école  primaire. Vous devez sans doute la connaître, mais je vais quand même vous la chanter :

« Le coq chante et le jour parait

 tout s’éveille dans le village

Pour que le bon couscous soit prêt, 

Femme  debout et  du courage

Pilons pan pan,

Pilons gaiement »

Je dois une fière chandelle à ces pauvres femmes. Non seulement, elles doivent se lever dès potron-minet pour faire le couscous, une harassante corvée ; mais le soir on les trouve dans nos villes, à l’angle des rues, sous les lampadaires, emmitouflées dans les pagnes fatigués pour vendre le couscous, thiéré – diner favori des célibataires fauchés comme moi.

 Les hauts parleurs des mosquées  murmurent  une oraison sereine, la wazifa : c’est une berceuse langoureusement psalmodiée dans cette maternité du monde où vient de naître un jour, un jour nouveau frais et beau ? ll s’appelle lundi, c’est un beau bébé au teint rose, emmitouflé dans ses draps de nuages. Ils clignent déjà de l’œil à la lueur prochaine du soleil. 

De ma terrasse j’aperçois des hommes, encore ensommeillés, qui  trottent  sur le bas-côté de la route, pour aller affronter les embouteillages du matin. Je sais  qu’intérieurement,  ils sont en train de maudire  leur patron.

Bientôt la terre est emplie par une rumeur de klaxons, d’interpellations frénétiques des coxers («Dakar, Dakar Dakar » ) des rideaux de commerce qui se lèvent. Hier, c’était comme ça. Aujourd’hui et demain ce sera sans doute pareil. Du haut  de  ma  terrasse, j’assiste, dubitatif, au spectacle pitoyable d’un monde affairé qui va chercher le pain du jour  et, si possible, le gain d’une vie. Moi, célibataire assumé et endurci, sur qui ne pèse aucune contrainte familiale,  je laisse les hommes à leurs occupations matérielles pour regagner mon lit à une place et me couvrir de la chaleur de mes draps solitaires.     

 


Mon mouton de Tabaski.

 

J’ai acheté un mouton pour la Tabaski, Aïd el kébir. C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai attendu d’avoir près de quarante balais pour ça. Une première qui a rendu rendu fiers les membres de ma famille, en particulier ma mère. Je crois qu’elle y a vu le signe d’un début de sortie de mon long célibat. Ou en tout cas un effort louable de la part de son fils pour devenir un homme normal, un vrai homme !

Pendant longtemps, la Tabaski a été pour moi un jour comme un autre. Célibataire, sans enfant,  et sans projet de mariage sérieux,  j’ai jamais ressenti une pression particulière pour ce jour.  Contrairement à mes amis mariés,  et déjà père d’une consistante famille, qui doivent se décarcasser pour trouver un mouton respectable, acheter des basins riches dont le prix du mètre peut me nourrir pendant deux semaines. Sans compter tous autres les accessoires,mais indispensable : greffages, cheveux naturelles etc.

Je crois que la Tabaski c’est le seul jour où mes amis mariés m’envient mon statut matrimonial.  Moi, je suis loin de cette frénésie dispendieuse. Je dois ajouter, pour être honnête, que j’ai trop le choix, fauché comme je suis habituellement.

Mais cette année, chose tout à fait insolite, moi, Rahou, célibataire endurci et invétéré, qui commence à avoir des poils blancs à la tête, à la barbe (et ailleurs), j’ai  fièrement attaché un bélier devant la maison à côté de ceux de mes frères et beaux-frères. Les gens n’en revenaient pas.
Pour dire vrai, bélier, c’est un terme trop généreux pour mon mouton. C’est un animal à robe noire tachée de blanc, rachitique , les côtes saillantes, bien visibles à travers sa peau tendue presque transparente. Mais c’est quand même un bélier si vous considérez l’envergure des cornes, plusieurs fois enroulées ; et si l’on en juge aussi par la paire de testicules balèzes, et qui balaient le sol.

J’ai dégoté l’animal la vieille de la Tabaski parmi un troupeau de « peuls peuls » à un prix symbolique (15 mille balles).  Le  vendeur, un berger maure enturbanné, avait visiblement hâte de s’en débarrasser avant qu’il ne meure entre ses mains. Le mouton, éreinté, souffrait d’une diarrhée sévère sans discontinu, comme un robinet foiré. Aucun charretier ne voulait l’embarquer. Les taxis, n’en parlons pas. J’ai dû le traîner à la laisse, nuitamment pour éviter les regards moqueurs.  C’ aurait été un mouton de Tabaski volé qu’on aurait aucun mal à repérer nos traces. L’animal a jalonné tout le chemin de ses intarissables déjections liquides.
 Arrivé chez moi, je lui attache un morceau de tissu à la queue et lui  administre un bouillon de terramycine. En vain.

Le jour de la Tabaski. Ma mère toque à ma porte. Il est dix heures passées. J’ai raté la prière, comme d’hab. J’ai du mal à me lever tôt. A mon réveil, toute la maison est emplie de bêlements de moutons effrayés, ligotés prêts à être sacrifiés.  L’ égorgeur est un sympathique voisin, boucher de métier. A ma grande surprise mon mouton est encore vivant. La diarrhée s’est ralentie, mais il n’a plus la force de bêler.  On l’amène au bord du trou pour lui sectionner les artères. Au dernier moment, je retiens la main de mon voisin qui avait dégainé un couteau ultra tranchant.  « Arrêtez .Ne l’égorgez pas ! Dama koy yaar. »   Dubitatif, le serial killer de  moutons  lève les yeux sur moi.  « Je garde mon mouton pour la Tabaski prochaine. »  confirmé-je.  Ma mère, mes frères et sœurs sont aussi surpris, mais au fond  d’eux  ils sont soulagés d’être dispensés de manger ce mouton anémique et diarrhéique. Moi aussi.


notes de lectures (2)

Les Cahiers de Don Rigoberto

Don Rigorberto répudie sa femme Dona Lucrecia pour inceste avec son beau-fils, Fonfon. Pour ne pas sombrer dans la solitude et la folie, il cherche (désespérément) refuge dans ses cahiers, où il a recrée un univers imprégné de fantasmes et des souvenirs de Dona Lucrecia.

Don Rigoberto est un fervent épicurien, passionné par les choses de l’esprit. Le peintre Egon Schiele, artiste autrichien lubrique, mort à 28 ans de la grippe espagnole, hante le jeune Fonfon, enfant malicieux qui veut réconcilier son père à son ex-femme.

Les Cahiers de Don Rigoberto, c’est toute la classe et la maturité du romancier péruvien Vargas Llosa (Prix Nobel 2010).

Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra
Le revers du succès pour un écrivain c’est qu’il prend otage en otage sa plume. C’est le sentiment que j’ai eu en lisant Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra. Par peur de dérouter son lectorat, l’écrivain algérien reprend les mêmes recettes, celles qui ont fait sa fortune. Khadra, c’est une langue bien tournée, mais très souvent prévisible. L’auteur ne lésine ni sur les métaphores faciles ni sur les lieux communs. Et les dialogues sont parfois d’une platitude… insurmontable (niveau émission de Deguène Chimère sur Tfm). L’histoire est quand même belle : un amour impossible entre un jeune arabe Jonas et Emilie, une Française pied noir, sur fond de guerre d’indépendance en Algérie


Cercueils sur mesure de Truman Capote

Si vous recevez un cercueil en miniature dans laquelle il y a votre photo, c’est que vous êtes le prochain sur la liste. Un mystérieux tueur en série sévit dans l’Ouest américain. Avant d’exécuter ses victimes, il leur envoie un étrange colis : cercueil + photo. L’enquêteur Jack Pepper traque jusqu’à l’obsession ce tueur illuminé et fantasque …  Jusqu’ à livrer avec lui une partie d’échecs.

Il y a, en condensé, dans cette nouvelle de Truman Capote tout ce que j’aime lire : du suspens, de la passion, et un peu de psychologie. Et surtout c’est génialement bien écrit !

Il y a quelques années, comme des millions de lecteurs dans le monde, j’ai été émerveillé par l’inoubliable De sang froid ; j’ai voulu relire Truman Capote : Cercueils sur mesure, présenté comme « le récit non romancé d’un crime américain », a été aussi une très belle expérience de lecture.

Virtuose de la plume, Truman Capote nait à la Nouvelle-Orléans en 1924 et meurt à Los Angeles en 84. Il laisse le souvenir d’un grand écrivain, journaliste et scénariste, ayant marqué la vie littéraire et mondaine américaine.


Johnny Chien Méchant d’Emmanuel Dongala

Johnny Chien Méchant fait partie de la littérature des guerres civiles africaines. Le roman d’Emmanuel Dongala est devenu un classique du genre, adapté au cinéma par Jean Stéphane Sauvaire  en 2008.

Le récit alterne la voix de deux adolescents pris dans une orgie de viols, de tueries et de pillages. Johnny Chien Méchant est enfant soldat à la tête d’une milice sans foi ni loi, qui sème la mort sur son sillage.

On est en Afrique, dans un pays qui pourrait bien être le Congo des années 90, le Libéria, le Sierre Léone des années 2000, ou le Centrafrique d’aujourd’hui. Mais les balles qui tuent sortent d’armes russes, israéliennes, américaines. Sur le terrain, les combats prennent d’ailleurs une résonance internationale, en écho à d’autres conflits : les batailles se déroulent dans un quartier nommé Kandahar ; les milices sont appelées « Tchétchènes » ; les mercenaires sont des Serbes, etc.

Laokalé, l’autre personnage du récit, est une jeune fille, qui tente de sauver sa peau et celle sa mère, veuve et cul-de-jatte.

C’est un récit haletant qui décrit avec talent l’horreur de ces guerres qui ont dévasté l’Afrique, où chaque bande armée prétend lutter pour la démocratie.

Mais ce sont « tous des chacals, des hyènes, sortis de leur tanière, attirés par l’odeur du sang et de la rapine ».

Dans ce chaos, Dongala peint avec justesse le cynisme des Ongs occidentales. Elles sauvent les gorilles des forêts tropicales sous prétexte qu’ils sont des espèces en voie d’extinction, et ignorent les populations civiles qui meurent sous les balles ?

Dongala écrit sans fioriture ni pathos, dans un style limpide et âpre. Sa formation de scientifique y est sans doute pour quelque chose. (Il est prof de Chimie aux Usa).

Certaines scènes sont insoutenables, comme ce passage où un gamin implore Johnny Chien Méchant de le laisser en vie.  En vain ; ou cette petite fille qui meurt broyée sous les roues d’un char. La plume de Dongala n’a–t-elle pas tremblé en écrivant ces passages ? Dommage que l’innocence soit totalement scarifiée à  l’horreur et à l’arbitraire.

(1) Johnny Chien méchant, Emmanuel Dongala, Le Serpent à Plumes, 2002 


Le père des Orphelins de Mario Soldati

Le père des Orphelins de Mario Soldati*

Qu’est ce peut se cacher derrière la conversation subite d’Antonio Pellizzari, hédoniste invétéré et égoïste notoire, qui ne soucie que de son bonheur? L’homme cultivé et raffiné, directeur d’opéra à Milan, La Scala, décide un bon matin de tout plaquer, et transforme sa somptueuse villa en orphelinat. Le narrateur, son ami, décide d’y voir clair dans cette surprenante décision. Il découvre alors un Pellizzari miné par un profond remord : dans un passé récent, pour sauver sa réputation et son honorabilité, le néo-samaritain avait laissé mourir un gamin. « Il avait fondé un orphelinat pour les enfants inconnus, mais il n’avait rien fait pour sauver une créature, peut-être la seule au monde à laquelle il se sentait lié par la chair. Il avait abandonné cette créature à elle-même ; à sa misère, comme s’il voulait la détacher de lui, comme s’il l’abhorrait. »
Autre découverte : le narrateur retrouve chez son ami néo-converti, des boutons de manchettes qu’on lui avait volées…

Dans Le père des orphelins, Mario Soldati aborde des thèmes familiers aux lecteurs de Graham Green. Les personnages, hantés par leur passé de débauche, sont en quête de rédemption. On y retrouve aussi les motifs de Dostoïevski : ces longues confessions, mélange d’aveux insolites, de mauvaise conscience et de bonnes résolutions.
Le style de Soldati est plaisant et fluide (si j’en juge par la traduction.)
Je suis sous le charme de ce passage. Le narrateur est dans le jardin de son ami Pellizzari, attendant qu’il le reçoive :
P 94 : « … Dans un coin, sous une tonnelle, près d’une cascade rouge et jaune de vigne vierge, qui recouvrait une exèdre de pierre, des niches, des statues, des pommes de pin, se trouvait un salon en osier. Je m’abandonnais dans un de ces fauteuils. Et tout en sommeillant, je savourais encore la douceur d’un octobre lombard, qui me disais-je, était peut-être le dernier de ma longue vie.»
Je suis fasciné par ce mélange d’abandon et de sérénité devant la mort.
Avec cette nouvelle, je découvre Mario Soldati, considéré comme l’un des plus grands écrivains italiens du 20ème siècle. Né en 1906 à Turin, dans une famille de marchands de soieries, Soldati a aussi réalisé une trentaine de films, mais il n’a jamais été reconnu comme un grand réalisateur. Il est l’auteur, entre autres, de La vérité sur l’affaire Motta, La Confession, La fuite en Italie. Il meurt en juin 99.
* Le père des Orphelins, Mario Soldati, Gallimard 99, pour la traduction française


Laye Diaw, ou le commentaire sportif à l’africaine

On ne pige pas grand-chose au foot d’aujourd’hui sans quelques notions en stat. Pour comprendre un match, il faut regarder de près plusieurs données : le taux de possession de la balle, le pourcentage de tirs cadrés, la distance moyenne parcourue, et le toutim. Ces analyses basées sur la logique et le calcul ont la cote sur les télés françaises. Il y a aussi le modèle sud-américain, où le commentateur passionné, débite à un rythme saccadé ses phrases pour créer une intensité dramatique ; et quand il y a but, il pousse un cri interminable : Gooooooaaaaaaaaaaoaaaal ! On retrouve également ce type de commentaire sur les chaînes arabes, assaisonné à l’accent bédouin.

Y a-t-il un modèle africain du commentaire sportif ? Je ne saurais le confirmer. Mais, je fais partie des ses nombreux Sénégalais qui ont aimé le foot, en partie, grâce aux commentaires de Laye Diaw sur Radio Sénégal, à l’époque du monopole d’Etat, jusque dans les années 90.

Diaw est une légende vivante du journalisme sportif sénégalais. Retraité de la chaîne publique, il officie maintenant sur la Rfm, la radio de Youssou Ndour à Dakar.  Un match avec lui, c’est un grand banquet de souvenirs truffés d’anecdotes où il rend hommage à ses anciens instituteurs, salue la mémoire de ses voisins à Saint-Louis, ressuscite les posters jaunis du foot sénégalais : Asmara 68, les Jeux de l’amitié (c’était en 1963). Bref, pour la jeune génération, le palmarès footballistique sénégalais est quasi vierge, mais Diaw réussit la prouesse de rendre chaque Sénégalais fier de l’histoire sportive de son pays.

Avec Diaw, on était loin de ce galimatias bourré de chiffres et d’analyses pseudoscientifiques, servis par des consultants grassement payés par les chaînes câblées. Laye, lui, la seule concession qu’il faisait aux maths, c’est la ligne médiane. « Le ballon qui franchit la ligne médiane » – (comme si c’était en soi un évènement footballistique majeur !).

Je dois avouer que cette expression m’a quand même été d’un grand secours. Lors d’un important concours, on m’a demandé de définir la ligne médiane. Je me suis alors souvenu des commentaires de Laye Diaw, ensuite j’ai visualisé dans ma tête un terrain de foot, et j’ai obtenu la réponse exacte : « C’est la ligne qui sépare une figure géométrique en deux parties exactement égales ». L’autre chose que j’aimais aussi chez Diaw, c’est sa manie de dédoubler les verbes. Et pour ça, il a une formule typique reprise par plusieurs générateurs de journalistes. Cela donnait : « Le portier sénégalais, Tony Mario Sylva*, qui a fini de se dégager »… « Et le ballon qui franchit la ligne médiane. » Quand dans mes dissertations, j’utilisais cette tournure, genre : «Tel écrivain a fini de nous convaincre à l’idée selon laquelle… », mon prof de français biffait cela d’un trait nerveux, avec à la marge ce commentaire en rouge : « Style pompeux et lourd, à éviter». Après, j’ai compris qu’en foot, l’essentiel, c’est de transmettre sa passion. En chiffres ou en lettres !

*Gardien de but des Lions de la Téranga, lors de la Coupe du monde 2002, la seule à laquelle le Sénégal a participé


Après le Mondial, bon retour sur terre !

Après le Mondial, bon retour sur terre !

C’est toujours comme ça ! A la fin, il y a des gens  ( Les Allemands) qui dansent sous les feux d’artifices, d’autres qui sèchent leurs larmes devant la caméra. La folie du mondial est aussi passée à Dakar. Un moins pendant lequel, sports et business ont renouvelé leurs noces d’or massif. Les marchands ont fait leur promo. Les vendeurs de télé ont fait la bonne affaire. A la fin c’est l’Allemagne qui gagne. Pendant quelques jours encore, les images féériques de Brésil 2014 défileront encore devant nos yeux. Cette Coupe du Monde nous aura offert des émotions, des frissons, des évasions aussi. Elle a aidé à refouler les rigueurs du Ramadan pendant une quinzaine. Les lumières du Maracana se sont éteintes. Avec elles une partie de notre vie.

Demain, nous ne regarderons plus la Coupe du Monde de la même façon. C’est que notre rapport à l’écran aura été révolutionné. Il y a une trentaine d’années, c’est tout un quartier de Dakar qui se regroupait derrière le seul poste téléviseur disponible à 10 Kms à la ronde pour suivre fébrilement les chevauchées diaboliques de Maradonna sur les stades mexicains. Aujourd’hui, chacun peut suivre les exploits de Messi dans l’intimité de sa chambre.

La télé s’est popularisée comme jamais. Chaque matin, les conteneurs des « Modou Modou » débarquent  à Dakar des postes « réformés », dépassés par le progrès numérique en Occident. De bien communautaire, la télé est passée au statut de bijou familial installé dans le salon ; à celui d’un banal gadget dans les chambre d’ado. L’époque où le chef le chef de famille tenait seul la commande est derrière nous. Demain avec la démocratisation d’internet, l’arrivée de la 5G voire plus, et la banalisation des appareils portatifs, les matches seront suivis en temps réels sur les tablettes et les téléphones. Mais, gageons que le foot gardera son côté socialisateur.

Dans nos foyers, la Coupe du Monde a fait du bien. Les enfants ont vu plus souvent Papa. Moins encombré par ses réunions, le mari est rentré plutôt à la maison pour suivre les matchs. Même s’il restait vautré dans son canapé, incapable de détourner la télé de l’écran, et délibérément sourd aux sollicitations domestiques : le gaz à recharger, la facture d’électricité (salée) qui est arrivée à échéance. Quelle belle échappatoire, cela a été Brésil 2014 ! Bon retour sur terre !


Comment «Pa Allemand » réussit à caser ses filles

Dakar-taxi-car-rapide 

Lundi matin, je suis dans le taxi pour me rendre au boulot.  Le chauffeur capte une radio dakaroise qui diffuse des infos sur la Coupe du monde. A l’antenne, le journaliste se délecte à l’avance de la palpitante demi-finale, Allemagne-Brésil,  jouée  mardi. Le taximan, sans doute un fan de foot au volant, saute sur l’occasion pour amorcer une discussion. « Tu supportes quelle équipe », me lance-t-il sur un ton familier.  Je dis : « Brésil », plus pour couper court que par conviction. « Moi, je suis pour les Allemands»,  répond du tac au tac le taximan.

Les lundis matin, la circulation est infernale à Dakar ;  je suis rarement d’humeur à bavarder.

J’aime assez le foot, mais de là à entamer une causerie enflammée avec un parfait inconnu. En plus, c’est un vieux, le taximan ; en témoignage son bouc plus sel que poivre.  « Tu sais jeune homme : mes filles m’ont surnommé ‘‘Pa Allemand’’ », ajoute le taximan, une once de fierté dans la voix.

J’ai subitement tiqué. Vous avez sans doute rencontré, au moins une fois, le prototype « Pa Allemand ». C’est le genre de père de famille, invivable, colérique, et à la gifle facile. Ils font régner la terreur chez eux et dans leur quartier. Vous jouez au foot dans la rue, le ballon est balancé chez Pa Allemand, gare à celui qui s‘aventure à aller le chercher…

Sur le coup, une question me turlupine : « Quelle scène ‘‘Pa allemand’’ me  fera-t-il à ma descente quand je lui tendrai un billet de 10 mille pour une course de 700 F Cfa. J’avais oublié de lui signaler que je n’avais pas de monnaie.

Imperturbable, le taximan déroule : « Tu sais jeune homme, moi je ne tolère pas les  thiakhaanes (plaisanteries) dans ma maison. J’ai quatre filles. J’ai donné les deux aînées en mariage ; et elles ont rejoint le domicile conjugal, le soir même. Aux deux qui restent, j’ai clairement dit que je les marierai, sur-le-champ, au premier homme qui se présente ;  je ne demande pas un sou pour ça. » Dépité, il ajoute : « Malheureusement, les jeunes gens d’aujourd’hui sont frileux et plaisantins. »

Arrivé à destination, je sors le gros billet. A ma grande surprise, Pa Allemand me fait gentiment la monnaie. Il me tend même son numéro de téléphone sur un bout de papier, avec une tape amicale : « Appelle-moi, jeune homme, tu verras, les Allemands sont les plus forts. Parole de vieil homme ! »

Ce matin,  lendemain de demi-finale*, en fouillant dans la poche de mon pantalon, je tombe sur le numéro de « Pa allemand ». J’ai difficilement résisté à la tentation de l’appeler pour le féliciter…

Une chose est sûre : si chaque père cherchait à caser ses filles avec cette persévérance bien germanique, le célibat connaîtra une baisse record.

 

*Disputée mardi 8 juillet 2014 à Belo Horizonte, la demi-finale s’est par un score de l’Allemagne sur le Brésil, pays organisateur (7-0)